Dans notre livre « En route pour l’autonomie alimentaire – Guide à l’usage des familles, villes et territoires » édité par Terre vivante, nous scandons comme un leitmotiv : l’autonomie alimentaire est l’affaire de tous, elle s’apprend et elle s’organise, et nous abordons ce sujet par plusieurs entrées.
Nous avons décliné plusieurs actions au nombre de 20, outre la première qui consiste à commencer par soi, et donc à oser passer à l’action. Ceci nous amène à lever nos propres barrières, celles qui nous empêchent de le faire. Mais à partir du moment où l’on décide fermement sans aucune équivoque, à prendre soin de Soi, de l’Autre et de la Terre, les choses se mettent en place aisément comme par enchantement.
Il est intéressant dans un premier temps, d’aller « oser » voir en soi, à quel stade vous en êtes de déconnexion de ce que vous mangez quotidiennement et du degré de vos connaissances sur la manière dont est produite la nourriture que vous mettez trois fois par jour dans votre bouche.
Avez-vous « poussé hors sol » et vivez depuis toujours dans une très grande ville ? Allez-vous parfois, ou jamais vous promener dans la nature ? Savez-vous comment sont produits tous les aliments que vous mangez ? Vous êtes-vous déjà posé la question ? Vous êtes-vous complètement laissé aller à déléguer la production de ce qui vous nourrit à d’autres, sans vous préoccuper du pourquoi ni du comment ? Avez-vous tout de même une vague idée, ou avez-vous remarqué, qu’il existe beaucoup de spéculations sur les denrées alimentaires, que tout est objet de commerce et devient marchandise au détriment des ressources, de la biodiversité, du vivant tout simplement, y compris de notre santé ? Saviez-vous que les semences faisaient l’objet de brevets et que la plupart de celles qui sont commercialisées par les entreprises multinationales ne sont pas reproductibles ?
Il est ainsi un très bon stimulant pour passer à l’action, que de répondre en toute honnêteté à ce type de questions.
Dans ce cadre, vous avez peut-être entendu dire, ou avez lu que deux « zigotos », c’est-à-dire François Rouillay et moi-même, avaient réussi à produire avec des volontaires venus apprendre, 100 kilos de légumes en 100 jours, sur du béton, sans terre et sans argent ? Même que c’était sur un ancien terrain de tennis, dans le midi de la France. Nous ne l’avons pas fait une seule fois, mais aussi à 1200 m d’altitude, bon c’était en Corse, mais également sur une terrasse exposée au nord en plein mistral sur des dalles en béton, mais aussi dans des cageots suspendus entre deux toits !
Ce que nous avons fait et partagé d’autres peuvent le faire aussi. Ainsi, pour avancer concrètement sur la voie de son redressement, de sa prise de responsabilité, de son implication, vous pouvez par exemple décider de commencer par produire un peu de légumes chez vous, même si vous n’avez aucune connaissance à ce sujet.
Si vous avez répondu aux questions précédentes en toute honnêteté vis-à-vis de vous-même, cela va vous conduire à modifier votre regard sur les choses. C’est une prise de conscience qui va vous amener à reprendre votre pouvoir d’action en matière de contribution au retour à l’autonomie alimentaire autour de chez vous.
Premièrement que le sol abrite une matière vivante microscopique qu’il faut nourrir, non pas avec des produits chimiques mais avec d’autres végétaux : des verts et des marrons coupés en petits morceaux.
Les matériaux verts sont ceux qui comportent des feuilles fraîches, de l’herbe coupée, des épluchures de légumes, des coupes de haies vives ; les marrons sont constitués de bois morts, de feuilles mortes, de crottin et de terreau si possible. Les matières vertes contiennent de l’azote, les brunes du carbone.
Voilà, vert et marron, il suffit de regarder autour de soi s’il y a du vert et du marron !
Si vraiment il n’y a rien qui ressemble à cela juste autour de chez soi, alors il faut que vous décidiez d’aller vous promener avec ce but d’observation pour trouver de la matière végétale de couleurs verte et marron pour créer votre premier petit potager de ville.
Vous allez rassembler les matériaux pour donner à manger aux microorganismes qui eux-mêmes apportent par de vastes combinaisons et opérations, tous les éléments nécessaires pour nourrir les plantes qui vont-elles-mêmes nous alimenter.
Nous sommes tous interdépendants dans ce cycle. Si nous le détruisons… qu’arrivera-t-il ?
Si vous posez des couches en alternances de matières brunes et vertes, sur une hauteur de 40 à 50 cm en les arrosant bien au moment de la pose, un phénomène naturel va se dérouler grâce aux microorganismes, et comme par miracle, les différentes couches vont se transformer en une sorte d’humus, de sol, de terre fertile dans lequel les légumes vont prospérer.
Ce que la forêt accomplit naturellement en plusieurs années, peut être réalisé en quelques semaines.
Pour compléter ces apports de végétaux ont aura recours aussi au carton brun, dont on aura enlevé les rubans adhésifs. Le carton s’assimile à la matière brune (carbone) et nourrit aussi les microorganismes. Il empêche si nous sommes sur de la terre, aux herbes folles de prospérer trop largement.
Lorsque nous expliquons comment fabriquer une lasagne pour cultiver des pommes de terre, même sur du béton, nous recevons plusieurs remarques. Deux d’entre elles sont récurrentes :
remarque formulée lorsque nous utilisons l’expression « nous fabriquons du sol nourricier en 100 jours », ce à quoi je réponds : « je m’en fiche, pour moi c’est un sol nourricier car les légumes y poussent et en plus il sent l’humus, la forêt, les champignons, il est meuble, garde l’humidité, et nous avons pu cultiver dedans pendant trois ans ». Après cette date, nous n’avons pu poursuivre du fait de notre déménagement.
A ce sujet, François a récupéré toute la terre qui a été ainsi produite, l’a emballée dans des cartons qui sont venus s’ajouter au reste du déménagement. Ce matériau est resté enfermé pendant un an et cette année, en mars et avril nous l’avons récupéré pour servir aux semis et à leur rempotage en le mélangeant à 50%, à de la terre de taupinières, le tout étant tamisé. Nous y avons même trouvé des vers de terre encore en vie !
Faut-il alors mettre du carton ou pas ? Le carton est une matière carbonée élaborée à partir de la cellulose du bois. Comme il comporte plusieurs couches, il y a usage de colle et d’encre. Certaines personnes s’offusquent de polluer avec la colle ou les encres. Ce à quoi je répondrais par expérience. Nous avons créé plusieurs potagers de ville de cette nature : bacs, lasagnes, keyhole garden, wicking-bed, cagettes, ceci, sur notre terrasse et sur deux terrains de tennis avec l’usage systématique de cartons bruns auxquels nous avions enlevé les rubans adhésifs. Quels constats avons-nous faits ? Le carton était digéré au bout de trois ans, il n’existait plus, les légumes étaient magnifiques et… nous n’avons jamais été malades.
Il me semble sans être du tout une spécialiste, que les bactéries accomplissent un travail extraordinaire de digestion et de transformation. Regardez comment elles transforment les plastiques et les pollutions chimiques diverses, avec l’aide de certaines plantes comme les saules sur les PCB par exemple ! Alors je propose que celui qui s’interroge sur la toxicité des cartons bruns, entreprennent ses propres recherches en matière de digestion par les bactéries et partage le fruit de ses découvertes sur la page Facebook « le labo de l’autonomie alimentaire ».
Avant d’arriver à massacrer une forêt avec ses mains pour emplir son sac, comme le font les multinationales qui exploitent le bois en monoculture, ou qui déforestent systématiquement … Par contre il est très important de prélever la ressource des sous-bois pour nos petits potagers urbains très productifs, avec beaucoup de précautions pour ne pas laisser la terre à nu. Prélever à plusieurs endroits et les recouvrir avec la biomasse qui se trouve autour. Ainsi, il ne doit pas y avoir de traces.
Mais venons-en maintenant à la façon de récolter la ressource pour faire sa propre lasagne. C’est tout un art de trouver sa ressource de biomasse lorsqu’on ne l’a jamais fait.
déposés devant les magasins le soir, où dans les supermarchés, on peut très bien leur demander de nous en mettre de côté.
là il faut habiter près d’un bois, ou alors aller en randonnée avec l’intention d’en trouver. Le bois flotté trouvé sur les plages ne sera pas très utile, sauf à vraiment le mouiller pendant un bon moment pour qu’il constitue une réserve d’eau. Si vous ne trouvez pas de bois mort parce que vous êtes au milieu d’hectares de vigne, ou de blé, ou de betterave à sucre, ou en pleine ville, sortez, bouger, allez à la recherche de rivières, de fleuves, d’arbres, de fossés, de délaissés, explorez, vous en trouverez. Prélevez avec précaution comme il a été dit.
Lorsque vous avez trouvé des arbres, vous aurez également les feuilles mortes qui sont à leur pied, également le long des haies ou au bord de certains champs.
si cela vous est possible, il y a les clubs hippiques, des fermes sinon on peut s’en passer.
Généralement il se marie avec le « chant » de la tondeuse ou des coupe-haies. Cela vous donne l’occasion d’aller demander au voisin qui coupe son gazon ce qu’il fait de son herbe et il sera certainement ravi de vous la donner si elle l’encombre. Pareil pour les coupes de ses haies, pas de thuyas, mais de feuilles caduques.
Vous pouvez aussi vous rendre en fin de marchés pour ramasser tous les restants de légumes ou les feuilles qui ont été jetées avant que les services des poubelles ne les ramassent.
Comme verdure vous avez aussi les roseaux, les cannes, ils poussent dans de nombreux endroits, vous avez les fossés, les bords de chemin…
Pour accomplir votre récolte munissez-vous d’un râteau à feuilles, d’un sécateur, d’une petite scie, et de sacs à gravats de 20 litres. N’hésitez pas à bien les remplir et à fermer ensuite avec une ficelle.
Il suffit que votre regard change pour voir de la ressource là où, à la place, vous ne voyiez que des espaces neutres, des délaissés, des bordures à l’abandon, des déchets à brûler ou à mettre à la déchèterie.
C’est un changement fondamental qui peut s’opérer en vous :
Le travail sur soi permet de lever ses barrières, d’oser, d’y aller, d’avoir envie d’apprendre, de se renseigner, de passer à l’action, de sortir de l’habitude, de voir autrement, de se sentir concerné par la production de nourriture, par la préservation du vivant, et de fil en aiguille vous pourriez arriver à créer ou intégrer un groupe de transition alimentaire, comme nous l’expliquons dans notre livre, pour œuvrer en ensemble.
Et du petit potager urbain vous pourrez peut-être ensuite avoir le goût et la motivation à plusieurs pour créer à nouveau de la biomasse, planter des arbres, participer à des pépinières citoyennes. Une fois bien formés et ayant pratiqué, vous pourriez pourquoi pas, transmettre aux enfants des villes, ceux qui ont « grandi hors sol », loin des arbres, entre béton et bitume, comment le sol fonctionne, comment les légumes poussent, comment les préparer et se régaler. C’est sans fin.
C’est tout l’art de prendre soin de Soi, de l’Autre et de la Terre.