« Rien n’est solitaire, tout est solidaire. L’homme est solidaire avec la planète, la planète est solidaire avec le soleil, le soleil est solidaire avec l’étoile, l’étoile est solidaire avec la nébuleuse, la nébuleuse, groupe stellaire, est solidaire avec l’infini. Ôtez un terme de cette formule, le polynôme se désorganise, l’équation chancelle, la création n’a plus de sens dans le cosmos et la démocratie n’a plus de sens sur la terre. Donc, solidarité de tout avec tout, et de chacun avec chaque chose. La solidarité des hommes est le corollaire invincible de la solidarité des univers. Le lien démocratique est de même nature que le rayon solaire. »
Victor Hugo, Proses philosophiques (1860-1865)
Qui sont ces autres ? Humains, non humains ? Pourquoi et comment se préoccuper d’eux. Le concept philosophique ouvert des « égards ajustés » pousse à dépasser la position arrogante de protection de la nature pour s’intéresser à notre place sur Terre et à nos responsabilités. Par exemple, si bien légitimement et avec beaucoup de bonnes intentions, je cherche à protéger les abeilles (mellifères car elles me sont utiles), je ne porte pas attention, et même risque de nuire, aux abeilles sauvages victimesd’un conflit d’accès aux ressources. Il semble donc important d’ entrer en relation, de comprendre et d’agir avec discernement : avec diplomatie donc.
Les philosophes grecs, les mystiques védiques, les penseurs chrétiens, les érudits musulmans, au fil des siècles ont proposé des réponses à la question qui nous préoccupe de notre place sur Terre. Pourquoi ne les entendons-nous pas ?
Paradoxalement, dans les démarches de transition écologique, on prône souvent la réduction des dépendances : au pétrole (et globalement à ces esclaves technologiques qui nous apportent le confort à grand renfort d’énergie et de matière), à la chaîne des valeurs qui produit à bas coût les biens que nous demandons à l’autre bout du monde, à l’informatique, aux écrans, au tout numérique. Alors que notre civilisation nous plonge dans un système d’accumulation, de compétition, d’abondance, d’égoïsme et d’individualisme, d’autres voies sont offertes. Nous pouvons faire notre pain, cultiver des légumes dans notre jardin ou même sur le balcon, élever une chèvre ou des poules, vivre en société permacole. Il est certainement salutaire, pour la planète, de refuser ce système et de sortir des dépendances décrites plus haut.
Mais nous ne sommes pas seuls.
Nos congénères, les humains, nous accompagnent dans notre quotidien car nous partageons les tâches, nous sommes maillon dans une chaîne dont nous ne voyons pas toujours les extrémités. Les autres nous entourent en plusieurs cercles, de l’intime au lointain. Les autres constituent les liens que nous entretenons pour la grâce de la vie. Communion et partage.
Nous ne sommes pas seuls sur la Terre. L’homme qui dans le progrès de la civilisation a progressivement envahi la biosphère pour la domestiquer à son seul profit a parfois oublié que sa manière d’être vivant n’est pas l’unique mode. D’autres vies sur Terre, multiples, variées, nous entourent dans l’imaginaire prolifique de la création. Dix millions d’espèces peuplent la Terre et nous ne sommes qu’une seule de ces espèces. Certains imaginent que d’autres planètes, au sein d’autres systèmes solaires, portent comme la Terre des formes de vie, peut-être semblables, peut-être différentes et espèrent communiquer avec elles. Alors que plus près de nous sur la Terre, notre planète que nous partageons avec bien d’autres formes de vie, les plantes et les animaux expriment des liens de communication que nous ne cherchons pas à comprendre, développent des formes de vie que nous méprisons bien souvent au travers d’une classification réductrice entre nuisible ou utile, profitable ou néfaste. Des langages multiples et complexes qui portent des messages propres à l’organisation de leurs vies : partage des territoires, recherche de nourriture, orientation, alertes, chants de séduction et d’amour. Si nous les observons, ils nous observent aussi, perplexes sans doute, opportunistes parfois tels les oiseaux près de la mangeoires, rats autour des poubelles. Ils nous offrent le loisir d’interpréter ces signes, traduire ces messages. En effet, est commun à toute forme de vie le besoin, le désir de se reproduire.
Il est vain et réducteur de classer les autres par le seul critère simpliste de la satisfaction de nos besoins propres. Bonne ou mauvaise herbe, domestique ou sauvage, prédateurs chassés des espaces d’élevage de notre prédation. Nous avons réduit, simplifié, organisé, la richesse de la vie à travers le prisme de notre profit immédiat, sans toujours penser que les équilibres sont délicats et sensibles. Ainsi, depuis plus de 3 milliards d’années, des micro algues de la famille des cyanophycées produisent la moitié de l’oxygène que nous respirons. Mais pire encore, le mépris avec lequel nous traitons plantes et animaux dans les structures industrielles de culture et d’élevage, révèle un processus de déshumanisation et d’autodestruction qui s’applique indifféremment à toutes les dignités, tous les droits de vie, humains et non humains.
Portons vers les autres des regards de gratitude. Le respect de toute forme de vie est essentiel. Avec générosité, bienveillance et tolérance car si tout est lié, tout est différent. Il ne s’agit pas de protéger, un terme à proscrire car il manifeste un rapport de domination, signe d’arrogance de l’espèce humaine, mais bien de respecter. Et, en plus, respecter selon des égards ajustés. La longévité d’une mouche se mesure en jours, celle d’un arbre en dizaines ou centaines d’années, la nôtre entre les deux. Il importe de tenir compte de ces écarts de durée de vie, mais aussi des particularités de conditions de vie, de modes de vie, dans notre diplomatie inter espèce 1.
Avec générosité et joie, agissons en diplomates du vivant, avec humilité, partageons une approche sensible, avec gratitude respectons ce qui nous nourrit dans toutes les strates de la vie.
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Sans ou avec ? |
Quel égard je lui porte ? |
Le boulanger |
Avec ; si on peut faire son pain, le sien est meilleur |
J’entre dans la boutique avec un sourire et je porte une appréciation sur son pain |
L’éleveuse de poules pondeuses |
Avec ou sans si j’élève des poules ! |
Admiration devant l’ovale parfait de l’œuf |
Le maraîcher |
Avec ou sans ; je cultive dans mon jardin ou sur le balcon |
De la botte de carotte, je conserve tout : la racine cuite ou râpée, la peau dans un cake, les fanes en soupe |
L’abeille à miel |
avec |
Que j’accueille sur les fleurs du jardin |
Le conducteur de bus |
Avec ; je l’ai attendu à l’arrêt |
Une salutation avec un sourire |
L’improbable rencontre entre un sapiens et un néanderthalien |
avec |
Un lointain souvenir, enfoui |
La maîtresse d’école |
Avec |
Un lointain souvenir |
La forêt boréale |
avec |
l’albedo de la Terre |
La vache laitière |
avec |
Lait, beurre et fromage |
L’infirmière |
Avec |
Respect et admiration |
Le patron de la raffinerie de pétrole |
sans |
Je peux m’en passer, sur mon vélo ! |
Le loup |
avec |
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Le chat domestique |
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Le fromager |
avec |
Voir la vache laitière |
Le plancton qui produit de l’oxygène |
avec |
Respect : je lui dois la vie |
Le pommier |
avec |
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Le champ de blé |
avec |
Ou de seigle, sarrasin, épeautre |
Le réparateur de vélo |
Avec ou sans |
Selon mes compétences |
Une fleur de coquelicot |
avec |
admiration |
Les migrants qui arrivent ici |
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A chacun de renseigner les colonnes de droite du tableau, de compléter les lignes vierges et d’en ajouter…
1 Voir les ouvrages de Baptiste Morizot, « manières d’être vivant » ou « sur la piste animale » - Actes Sud/collection mondes sauvages – pour une nouvelle alliance.