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Les rabat-joie dominent-ils le monde ?


“ÇA VA MAL FINIR…” LES RABAT-JOIE DOMINENT-ILS LE MONDE ?

Pandémie, récession économique, crise environnementale… la saison des censeurs et des angoissés de tout poil est ouverte ! En contre-pouvoir, d’incorrigibles épicuriens s’en donnent à cœur joie. Comment ne pas sombrer dans l’excès ?

Le sniper de la censure

Trouble-fête, broyeur de noir, père la morale, ronchon chronique, incorrigible pessimiste, grand prêtre de la bonne pensée, ennemi juré du boute-en-train, bonnet de nuit, trouble-joie… : en voilà un qui a la cote dans le dictionnaire des synonymes ! Vous l’aurez reconnu, on parle ici du rabat-joie de service, ce sniper de la censure toujours prêt à en découdre avec la pensée positive ou toutes autres bonnes nouvelles qui osent croiser son chemin. Son dada ? Les périodes de crise où il performe comme jamais. En témoignent le confinement et le déconfinement, qui lui ont ouvert l’autoroute du négativisme. Âmes enjouées, il est temps de vous armer de patience ou alors de peaufiner vos punchlines «clouage de bec».

Face à l'incertitude et aux peurs liées au Covid-19

Car la nouvelle époque post-Covid façonne depuis quelques mois de nouveaux sapeurs de moral, toujours plus anxiogènes et importuns, dont on a du mal à se débarrasser pour reprendre un semblant de vie normale. «Face à tant d’incertitudes et de peurs liées au Covid-19, le rabat-joie a enclenché la seconde sur l’autoroute du négativisme, ressassant et déversant à longueur de journée ses névroses, et plus largement tout ce qui ne va pas dans notre société contemporaine, confirme Emmanuelle de Boysson, romancière et coauteure, avec Claude-Henry du Bord, du livre Nous, les bons vivants : ras le bol des rabat-joie (Éditions du Rocher).

La crise sanitaire mondiale a exacerbé leur pouvoir de ruminer

S’il a été le premier a tout s’interdire (à juste titre) dès le 17 mars, il est aussi celui qui passait un coup de fil à la gendarmerie pendant le confinement pour dénoncer un voisin dont il estimait les sorties journalières de son chien trop fréquentes à son goût, celui qui râle contre les joggeurs, celui qui se plaint des voisins qui écoutent de la musique… Ce sont des personnes qui ne cessent d’être dans la critique, surtout quand cela concerne les bons vivants, ces âmes “diaboliques” de la bonne humeur et de la spontanéité !» Mais si la crise sanitaire mondiale a exacerbé leur pouvoir de ruminer, celui-ci ne date pas de la dernière pluie.

Du négativisme pour éviter les dangers

«C’était mieux avant», «quelle perte de temps», «tu vois, je te l’avais bien dit», «arrête de rêver», «ça ne vaut pas la peine, on va être déçus», «ça va mal finir»… Ces punchlines minantes d’amis, parents ou collègues ont l’art et la manière de transformer des nouvelles positives en quelque chose de négatif. De gâcher en si peu de mots leur propre bonheur, mais aussi et surtout celui des autres. «Le rabat-joie voit davantage les problèmes dans son environnement, explique Yves-Alexandre Thalmann, psychologue et auteur des livres Les fabuleux pouvoirs de la psychologie positive (Éditions Jouvence) et du récent Faire changer les autres sans les manipuler (Éditions Jouvence). Il évolue au quotidien comme nos ancêtres très lointains, ceux qui survivaient dans une nature hostile et qui, pour faire face à d’éventuels prédateurs, privilégiaient le bruissement alarmiste d’une brindille à tout le reste.» Un obsessionnel de la prudence, donc.

À sa décharge, il ne faut pas oublier qu’à l’origine, le cerveau de l’homme n’est pas programmé pour le bonheur et le bien-être, mais bel et bien pour la survie immédiate. Comprendre : se nourrir et éviter les dangers.

Haro sur les petits plaisirs

Mais si on a tous en nous cet héritage, certains en sont tout simplement plus captifs que d’autres. En résumé, le rabat-joie se méfie de tout et de tout le monde, juge à tout-va sans se soucier des conséquences. Un comportement toxique qui a le don de hérisser le poil de la personne qui lui fait face, surtout celui de son pire ennemi : l’hédoniste.

La solitude, facteur aggravant des personnalités ronchons

C’est ce que semble penser Emmanuelle de Boysson : «Du temps de nos grands-parents, l’année s’écoulait au rythme des réunions de famille, des mariages qui duraient trois jours et des banquets qui réunissaient tout le village. La disparition de ces traditions n’est pas anodine. On ne connaît plus les gens de son quartier, ni même parfois son voisin de palier. Et qui dit moins de mélange et de mixité, dit plus d’intolérances, d’aigreurs et de frustrations.»

La quête du nombre de likes est la première cause de l’hypocrisie absolue

Ce nouveau monde du tout-jugement, celui de l’opinion policée et sous contrôle, c’est aussi aux réseaux sociaux qu’on le doit. «La quête du nombre de likes est la première cause de l’hypocrisie absolue dans laquelle notre société est tombée, atteste Laurent Regairaz. Nous sommes de moins en moins nombreux à dire ce que l’on pense. Par peur du jugement ? Sûrement. Mais surtout par peur des représailles. Car dès que tu dis quelque chose qui n’est pas dans le bien-pensant normaté, tu te fais dézinguer en quelques minutes par des milliers d’inconnus. 

Cultiver l’optimisme

En fait, on a tous en nous un (petit) côté rabat-joie qui se manifeste plus ou moins en fonction de son humeur du jour, de ses soucis ou de ses enjeux personnels. On le sait, voir la vie en rose H24 est une douce illusion, surtout lorsque l’on traverse une crise, comme celle du Coronavirus. «En période difficile, il est essentiel de travailler sur le développement de son optimiste, explique Yves-Alexandre Thalmann. Orienter son attention sur les bons côtés de la vie est un antidote miracle. Il s’agit avant tout d’un moyen de développer une plus grande concentration à ce qui arrive de bien, chaque jour, dans notre vie.» Croire aux vertus de l’optimisme et ne pas anticiper le malheur pour éviter de le vivre deux fois…

Une question d’équilibre

Mais le rabat-joie que l’on montre du doigt – selon un indice de gravité qu’il revient à chacun de déterminer – a aussi (un peu) de bon. «Vivre au quotidien avec des angoisses demande beaucoup d’efforts au rabat-joie, analyse Emmanuelle de Boysson. Ce besoin d’anticiper les problèmes lui impose d’être exigeant et rigoureux envers lui-même. Résultat ? Il a cette faculté à abattre un travail incroyable, contrairement au jouisseur qui peut avoir un côté passif, et donc manquer parfois d’ambition.»

«Rabat-joie ou bon vivant, les deux ont quelque chose à nous dire. Il est essentiel de rappeler que le bonheur des relations ne réside pas dans le calme plat, l’absence de tensions, de conflits ou de complexité. Dans la vie, tout est toujours une question d’équilibre.»

EXTRAITS D'UN ARTICLE À LIRE SUR MADAME FIGARO