Le temps du confinement nous impose une clôture spatiale et nous laisse du temps pour cheminer avec cette fée du logis qui est l'imagination. Mais que diriez vous d'un voyage à l'aventure à travers une histoire. Si vous êtes partants, un taxi vous attend devant chez vous. Bon voyage!
Philippe prit le parti d'écourter ses réponses et de montrer ostensiblement une certaine lassitude. Il ne se priva pas, toutefois, de saisir les occasions pour asséner son ressenti et ses convictions «Rajaniennes.»
Il retrouva le fil de ses dernières lectures qu'il agrémenta d'un assaisonnement très personnel.
• Les abeilles, les fourmis, puisque vous me demandiez «où vais-je?», savent-elles où elles vont? A part leur réflexes ancestraux, elles sont des idiotes individuelles et des génies collectifs. Elles sont capables, collectivement, de trouver le chemin le plus court vers la source qui permettra de rapporter de l'énergie à la ruche, à la fourmilière. Par contre l'Homme, est un génie individuel....mais un idiot collectif. C'est là que le progrès devrait justifier l'intérêt qu'on lui porte!
Mais il y a des sujets qui me préoccupent en ce moment et qui vont sûrement nourrir les trames de mes futurs romans. Comme, par exemple, donner à tout le monde, sans exception, le droit d'avoir des droits. Ce n'est pas suffisant de dire que l'on habite dans le meilleur des Mondes pour certains, si l'on peut rendre le Monde meilleur...pour tous les autres!
L'Avenir n'est écrit nulle part...il est à écrire, et comme disait Gabriel Garcia Marquez:« N'attendez rien du XXI° siècle, c'est le XXI° siècle qui attend tout de vous.»
Pour finir, ( Philippe précipitant l'interview) je pressens le crépuscule des grandes passions (il repensait à la tirade de Flore sur l'amour) l'installation d'une apathie croissante, et fais le constat, qui m'inquiète, du paroxysme de l'indifférence, de l'essoufflement d'une démocratie qui ne résonne plus parce qu'elle ne raisonne pas!
Quant au talent que vous me prêtez, avec intérêt, je le concède, permettez moi de le tempérer en me remémorant ce que disait Jules Renard: «Si j'avais du talent, on m'imiterait. Si l'on m'imitait, je deviendrais à la mode. Si je devenais à la mode, je passerais bientôt de mode. Donc, il vaut mieux que je n'aie pas de talent...» Est ce pour cela que vous m'avez invité? lâcha-t-il malicieusement.
Cela faisait plus d'une heure et demie que Philippe répondait aux questions, quand il décida de couper court. Il enleva le casque de ses oreilles, se leva, signant la fin de l'émission. Rapidement le Boléro de Ravel vint occuper l'espace sonore du studio, et les deux journalistes décontenancés, rangèrent leurs fiches consciencieusement, mais visiblement satisfaits du scoop qui allait faire sûrement grand bruit.
Sans plus attendre, à la limite de l'impolitesse, Philippe s'engouffra dans les longs couloirs de la Maison de la Radio, planté de ses deux gardes du corps qui le poursuivaient, le sollicitant pour d'autres rencontres, des responsabilités d'émissions littéraires, des rendez- vous réguliers.
Philippe sans se retourner, harcelé jusqu'à la porte, sortit sans se retourner, laissant ses deux accompagnateurs qui l'avaient accueilli du bout des lèvres, médusés par cette attitude peu académique, et s'empressa de rejoindre Flore.