Le temps du confinement nous impose une clôture spatiale et nous laisse du temps pour cheminer avec cette fée du logis qui est l'imagination. Mais que diriez vous d'un voyage à l'aventure à travers une histoire. Si vous êtes partants, un taxi vous attend devant chez vous. Bon voyage!
Philippe continuait à tourner les pages, sans bruit, jusqu'à ce qu'il remarque que Flore avait marqué au stylo rouge un HUMM! en lettres majuscules. Serait-ce de satisfaction? De mise en appétit? Cela piqua plus encore sa curiosité. Il s'enfonça plus profondément dans le canapé, écartela le livre en grand et mit ses entrailles à l'air.
Il réalisa que finalement, il savait plus ce que Flore n'aimait pas, que ce qu'elle appréciait. Elle était tellement avare de confidences! Depuis leur rencontre, on aurait dit qu'elle était montée dans le taxi pour se laisser guider, lui manifestant une confiance sans borne! Sans borne, ou cent bornes....l'expression le fit sourire.
HUMM? Mais enfin, que valait une telle appréciation? En fait, la page relatait une scène qui se passait dans un café. L'auteur juxtaposait les cris suraigus et passionnés, lancés par des supporters d'une équipe de football en train de suivre un match à la télévision, et le ton de proximité, doux et grave, au milieu de ce tumulte, des confidences que se faisaient Sabine et Anton. Ce dernier s'excusait de partir dans le sous marin, ausculter le fond des mers dans un endroit tenu secret, où elle ne pourrait pas le joindre. Il avait beau se montrer rassurant, lui caresser le visage comme s'il la dessinait, Sabine avait du mal à contenir ses larmes. Anton avait beaucoup de peine à fixer ses yeux mouillés qui gardaient un éclat insoutenable. Ce regard qui se voulait tendre, n'était qu'un soleil d'hiver qui éclaire sans réchauffer.... Bon! pensa Philippe, c'est une scène de séparation douloureuse! Pas de quoi s'éterniser!
Mais un peu plus loin dans sa lecture, Philippe apprit, ce qu'Anton ignorait, que Sabine attendait un heureux événement et qu'elle s'interdisait d'en communiquer la nouvelle pour le moment.
L'auteur, il faut le reconnaître, ne trébuchait pas sur la corde mélodramatique mais donnait, par son style sublimant, une grandeur héroïque aux deux personnages. Philippe se laissa séduire par le passage qui allait suivre: celui au cours duquel, le mal de mer, de l'un, se balançait de façon poignante, avec le mal de mère de l'autre. L'auteur s'amusait habilement des capacités remarquables affichées par Anton, à déceler le moindre indice d'une présence, à des centaines de lieues sous les mers, mais en ignorer une, cachée tout près de lui, dans le ventre de sa compagne. L'amour rend décidément aveugle ...et sourd aussi! pensa Philippe.
Peut-être que lui aussi était dans ce cas? Mais pourquoi, Flore, habituée aux effets de style des grands auteurs, à l'originalité des situations, avait été particulièrement touchée à cet endroit du livre? Il se souvint de la réponse de Flore lorsqu'il lui avait demandé « Toi qui as fréquenté autant de personnages, vécu tant d'histoires dans la littérature, pourquoi te contentes-tu seulement de la nôtre?». Il se souvint aussi du regard perçant qu'elle avait affiché pour lui répondre, calmement, en le fixant droit dans les yeux: «J'aime l'exil, le voyage, et sans errance on est comme la science, on ne trouve rien de ce que l'on ne cherche pas! Mais la nostalgie de l'itinérante que je suis, par la pensée, me ramène irrémédiablement à toi. Souviens toi: le nomadisme de mon cerveau ne peut rien contre l'immobilisme sentimental de mon cœur. C'est clair? »