Claudine Tiercelin est professeur au Collège de France où elle détient la chaire de Métaphysique et philosophie de la connaissance. C'est une grande spécialiste de Charles Sanders Peirce et du pragmatisme en philosophie. Dans ce sixième entretien avec Alain Prochiantz sur le thème de l'imagination, il est question de l'utilisation trompeuse de l'imagination pour construire une distinction entre art et science.
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Souvent, on présente l'imagination comme étant un risque relativement à ce que pourrait être la scientificité rigoureuse de la démarche scientifique, mais je crois qu'il y a là plusieurs malentendus qu'il faut dissiper. D'abord, ce qui explique qu'on y voit un risque, c'est que très souvent l'imagination est entendue comme quelque chose qui a trait à la passivité de l'esprit et comme étant lié à la présence d'images, de copies, de ressemblances avec la réalité et donc entaché par ce biais même d'erreurs. Or une image, c'est nécessairement quelque chose qui est en deçà de la réalité. C'est ce qui explique d'ailleurs pourquoi dans la tradition philosophique classique, l'imagination, liée à la présence d'images était pensée sur le modèle de la copie et de la ressemblance, mais aussi ayant un lien avec la perception, notamment dans la tradition empiriste, ce qui ne permettrait pas d’accéder à la quintessence de la pensée.
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Je ne suis pas complètement certaine qu'il faille opposer science et art. Bien sûr, il faut les séparer au sens où l'on peut considérer que la finalité de l'art n'est peut-être pas tout à fait la même que celle de la science. Au fond la finalité de la science c'est d'abord la connaissance. Ce qui explique pourquoi je disais que quand on imagine quelque chose, et quand on croit quelque chose, on croit avoir affaire à deux états mentaux différents, mais évidemment, l'objectif est différent. Encore que certains artistes sont très préoccupés de la vérité, donc il n'y a pas lieu de dire que l'art n'aurait pas une visée de connaissance, ce serait positiviste de penser qu'il n'y a pas de vérité artistique.
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Dans l'art, ce qui compte c'est quand même l'artiste, c'est celui qui va faire que par son expérience son oeuvre est son oeuvre à lui, alors qu'on attend au fond de la science qu'elle vise l'objectivité. Mais on pourrait objecter que même si, bien entendu, l'art ne peut pas se distinguer de l'artiste, de l'expérience, l'art permet de dépasser à un moment donné le niveau de l'expérience pour élaborer une oeuvre. Toute la question est de savoir aussi ce qui est important pour l'artiste, si ce qui compte c'est de faire passer son expérience. Qu'il a quelques fois en plus du mal à décrire, comme une expérience mystique ou ineffable. Ou est-ce son oeuvre qu'il a en tête ? Et dans ce cas, cette oeuvre ne transcende-t-elle pas l'expérience de l'artiste ? Parce qu'elle a certaines propriétés objectives, parce que quand l'artiste n'est plus là, l'oeuvre reste, exactement comme quand Pythagore n'est plus là, son théorème reste.
Elle conclut l'entretien en donnant un point central de ressemblance entre science et art selon elle, la résilience.
Le propre de la pensée c'est à un moment de transcender le moment de la simple représentation mentale. Il faut distinguer ce qui est de l'ordre de la pensée et ce qui est de l'ordre des représentations mentales subjectives, comme le disait Fregge. Bien entendu nous avons besoin pour penser de faire ce travail de la représentation mentale avec toute sa richesse, sa créativité et sa ré-créativité. Mais ce qui est important c'est qu'une fois que la chose a été faite, elle résiste.
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EN LIEN AVEC LE THÈME QUI SERA TRAITÉ À L'ATELIER PHILO DU 21 JANVIER 2019 : SCIENCE ET ART