Le soleil poursuit sa chevauchée dans le ciel : toujours plus haut, toujours plus chaud.
Il est temps pour Julien de partir à la découverte des environs.
Casquette vissée sur la tête, lunettes de soleil soigneusement posées sur le nez, le sac sur le dos, il s'engage dans le long chemin poussiéreux, puis après quelques mètres, vire à gauche, longe le chenal qui va buter au pied des cabanes de pêcheurs.
Quatre barques plates se balancent sur l'eau, somnolentes, des filets aux mailles serrées, accrochés à des flotteurs en liège, s'étirent sur des palettes de bois. Un vélo rouillé dort entre deux nasses en rotin. Le bout du monde, pour un reste de civilisation.
Julien aperçoit Raymond, assis sur une chaise en paille, derrière une vieille balance à aiguille, pour peser le poisson. Il s'approche de lui et discrètement lui murmure : « Merci d'avoir rempli mon frigo. Il y a tout ce que j'aime. Je te revaudrai ça ! » dit-il en continuant son chemin. Flatté par le compliment, Raymond lui répond : « De rien, monsieur Julien, c'est avec plaisir. On vous attend ce soir. On fait une moulade entre copains. » Julien continue sa route, acquiesce de la tête et lève le pouce en l'air en guise d'acceptation.
Après avoir traversé la passerelle tremblante qui enjambe le chenal, il s'engouffre dans un sentier bordé par deux hauts talus. C'est comme s'il découvrait l'envers du décor : la nature avait changé de parure. Une herbe verte court sur la lande, les fossés sont à sec, et la vigne montre le bout de son nez à flanc de coteau. On ne sentait même plus les embruns, ni les relents d'e l'eau saumâtre, par endroits des étangs. Un parfum de pins et de fruits mûrs semblait sortir de terre.
« Tiens, le vent a tourné casaque », constate Julien. Si ce n’était ce héron cendré qui plane au-dessus de sa tête, on ne devinerait pas que la côte est proche.
Julien, en observant les vignes, au passage, remarque que la récolte cette année sera abondante à voir la taille des grappes qui s'échappent des feuilles pour se dorer au soleil. Il connaît bien les cépages pour avoir vendangé avec ses parents quand il était encore étudiant. Il sait reconnaître le carignan, le cinsault, le grenache, le mourvèdre, la syrah et s'étonne de ne plus trouver de l'aramon, comme autrefois. Quant au muscat il ne manque pas au passage de lui rendre hommage en le dégustant avec gourmandise.
En arrivant à l'orée d'un bois de pins, il devine en haut, sur une colline, une tour rongée par le temps qui fait le guet sur la plaine. Il décide d'aller y pique-niquer même si le trajet paraît long et tortueux. C'est ce genre de défi que Julien se donne : c'est comme cela, avec vigueur et opiniâtreté qu'il avait grimpé dans sa boîte, au nez et à la barbe des anciens qui lorgnaient le poste depuis longtemps. Les coups fourrés, les crocs en jambes, les intrigues, et les clans n'avaient pu stopper l'énergie et l'intelligence de ce blanc bec peu soucieux des convenances et des menaces. Et pourtant face à la jalousie, Julien avait maintes fois évoqué « la guerre du feu ». Pourquoi se battre leur disait-il, puisque le feu est une de ces rares richesses que l'on peut aller chercher chez le voisin et ramener chez soi sans rien lui avoir pris. Mais lassé, par tant d'entêtements, il finissait par leur dire que pour faire la paix et d'abord la vouloir…il faut y croire !
Il ne lui manquait plus qu'à suivre les flèches indicatives pour arriver au sommet.
La chaleur, et la pente rude le mettaient en nage et il dut faire plusieurs haltes pour se réhydrater.
A un sentier en lacets, succéda une montée des marches aux pierres glissantes. Heureusement une rampe accompagnait le dénivelé. Enfin, dégoulinant de sueur, Julien arriva au sommet. La vue était saisissante. A sa droite, la mer, le port, les canaux et toute la côte languedocienne. Devant, les étangs, et la structure du village et à sa gauche, le massif de La Clape.
Julien se mit rapidement à l'abri de ce qu'il restait de la tour du X° siècle. Il toisait les salins, ces monticules de sel aux flancs blanchis par les pelles mécaniques venues les mordre sur les côtés. Il avait une impression de grandeur, de pouvoir dominer, de s'extraire de la vie horizontale qui bruissait à ses pieds. Le grand air l'énivrait et il inspirait à plein poumons, en fermant les yeux. Comment ne pas comprendre Icare se saoulant d’espace, voulant monter toujours plus haut. Posant son sac à dos sur une roche, Julien déballa tout ce qu'il avait embarqué.