Le « monde d’après » ? Il doit être solidaire et reposer sur les biens communs !
Cette note propose des innovations pour élargir le champ des services publics et créer la République des communs du XXIe siècle.
La crise sanitaire liée au Covid-19 illustre l’impasse dans laquelle le néolibéralisme a plongé nos sociétés et rappelle avec force l’urgence du commun. Déjà, elle s’accompagne d’une crise économique et sociale sans précédent et les besoins sont quotidiens et immédiats. Malgré une résilience admirable après des années de gestion aveuglément budgétaire, les personnels des hôpitaux et des EHPAD sont à bout de souffle et les infrastructures médicales et logistiques font cruellement défaut.
Un des enjeux de ce début de siècle est d’élargir le champ des services publics, afin de répondre aux immenses défis sociaux, climatiques, démographiques et technologiques qui se dressent devant nous. Pour que la République soit une et indivisible, il faut faire France de tout bois.
Cela passe par une réaffirmation du principe d’égalité devant les services publics et de leur efficacité. Cela suppose aussi leur refondation et leur élargissement.
Quatre grands domaines impliquent de mettre en commun des politiques et d’en organiser la production et la distribution par l’État, la Sécurité sociale ou les collectivités territoriales :
Dans le contexte de fissure de la domination idéologique du libéralisme, Frédéric Lordon propose un ordre de priorité pour cette mise en commun. D’abord, l’intégrité physique des individus : pour s’émanciper, il faut pouvoir jouir d’une protection médicale fiable et sûre, avoir accès à une alimentation suffisante et saine, de préférence à un coût énergétique et environnemental faible. Vient ensuite le temps de la libération de la servitude matérielle. Face à un chantage à l’emploi, il est inacceptable qu’une personne puisse venir à manquer de moyens de subsistance, ou doive renier sa dignité. Si certains métiers sont essentiels à la communauté locale ou nationale, ils doivent être promus, valorisés et respectés, et leurs travailleurs considérés à leur juste valeur. Viennent enfin le développement humain et l’émancipation intellectuelle par l’accès à la culture et à l’information : l’éducation, la culture et les médias doivent être déconnectés de la recherche du profit.
Les propositions qui suivent ne visent pas l’exhaustivité et n’ont pas vocation à aborder l’ensemble des grands champs usuels des services publics. Cette note présente une ligne de réponse générale face à l’état actuel des services publics et avance des innovations pour élargir le champ des solidarités.
La crise sanitaire liée au Covid-19 met en évidence les effets délétères d’une gestion
exclusivement budgétaire de notre système de santé. L’application d’une logique et de modes de raisonnement comptables aux services publics de la santé, de l’éducation et régaliens (police, justice, défense) n’est pas efficace et doit être stoppée.
La logique d’austérité budgétaire permet de préparer le terrain à la privatisation de pans entiers du secteur public. Comme l’explique Noam Chomsky, « en baissant son financement, il ne fonctionnera plus. Les gens s’énerveront, ils voudront autre chose. C’est la technique de base pour privatiser un service public. » Par ailleurs, la destruction progressive du statut de la fonction publique par le recours accru aux contractuels va à l’encontre de la vision émancipatrice du service public.
La recherche du bien commun implique de promouvoir une construction conjointe de l’action publique entre élus, responsables administratifs, représentants des usagers, syndicats et associations.
C’est à l’ensemble de ces acteurs, à la collectivité ainsi comprise de définir la nature des besoins à satisfaire et des activités à développer dans le champ du service public. C’est à eux également de s’impliquer dans la conduite de la gestion des services publics, qui ne peuvent plus être seulement administrés par l’État, les collectivités et leurs agents, sans contrôle démocratique.
Que ce soit la Sécurité sociale ou le financement de l’État par l’impôt, le discours technocratique organise le débat autour des prélèvements obligatoires (PO). Mais il est urgent d’en finir avec le mythe des PO car il se focalise sur un niveau total de recettes mais masque le contenu des dépenses. Mal manipulé, ce concept organise même des comparaisons internationales sans fondement en mettant en parallèle un pays comme la France, où la santé et les retraites sont globalement socialisées, avec les États-Unis où elles sont fournies par des mécanismes privés et donc exclues du champ des PO car prélevées par des gestionnaires et assurances lucratifs.
Dans la continuité des règles budgétaires européennes, les gouvernements s’appuient sur ce critère pour couper les dépenses publiques. Mais ce raisonnement est fallacieux car il ne s’agit pas de dire que la dépense publique est bonne ou mauvaise par essence. Il s’agit de choisir quelles solidarités nous souhaitons construire et de trouver les ressources suffisantes pour les rendre pérennes. En outre, de nombreuses externalités existent aux services publics, dans certains cas bénéfiques pour la collectivité et qui rendent la gratuité souhaitable : des citoyens mieux instruits ; des individus vaccinés et alimentés sainement ; des malades pris en charge avant que le mal empire ; des retraités évitant la pauvreté et retrouvant le temps libéré, etc.
L’accès à un logement décent et abordable est la condition d’une vie digne et devrait être garanti à toutes et tous. Pourtant, le logement est considéré comme une marchandise comme les autres par l’État, qui laisse toute latitude au marché pour fixer les règles, spéculer et renchérir les prix.
Il est possible de donner un objectif à l’extension du domaine public : assurer la République tout au long de la vie. Une République qui se manifeste concrètement de la naissance à la mort, accompagnant ses citoyens dans les étapes personnelles voire intimes qui jalonnent leurs vies et permettant à chacun de s’émanciper, de vivre libre et dignement.
Des activités commerciales vitales pour la vie commune reposent sur des monopoles de fait en raison de leur structure de réseaux. C’est le cas des secteurs de la production d’énergie, des transports et des télécommunications. Pour des raisons de souveraineté, d’efficacité économique et de prise en compte des objectifs de bifurcation écologique, ils doivent échapper à la logique marchande.
Mieux vaut prévenir que guérir, mais lorsque la prévention ne suffit pas, il faut être en mesure d’accéder à des médicaments. Aujourd’hui, le secteur pharmaceutique dégage 47 milliards de bénéfices dont la grande majorité provient de la Sécurité sociale (80% du chiffre d’affaires de Sanofi-Aventis d’après son directeur) mais ne garantit pas l’accès continu à des molécules de base comme le paracétamol, fabriqué principalement en Chine. Assurer les activités de recherche malgré les tendances du moment est essentiel, comme l’a montré l’abandon des recherches sur les coronavirus quelques années après le SRAS.
L’air, l’eau, la terre, le vivant ne doivent pas être des marchandises. Ces biens communs supposent l’existence d’une ressource dont les usages sont collectifs. Sans eux, la vie humaine digne est limitée voire impossible. Leur mise en partage est bénéfique à toutes et tous. Ils doivent être gérés démocratiquement et sortis des logiques marchandes et captatrices. Dans ce cadre, le droit de propriété doit être soumis à l’intérêt général et la propriété commune protégée par la République.
Depuis 40 ans, les politiques de « rigueur budgétaire », les plans de réduction d’effectifs et de moyens, puis austérité budgétaire ont sabordé l’implantation locale des services publics essentiels, notamment des infrastructures de santé. Alors que le nombre des naissances n’a pas diminué, les gouvernements successifs ont fermé les maternités à tour de bras. Alors que le nombre d’élèves a augmenté sans discontinuer, 7 000 écoles publiques du premier degré ont fermé entre 2000 et 20178. Alors que, hors des grands centres urbains, le temps de trajet moyen acceptable pour effectuer ses démarches fiscales est de 19 minutes, 1200 centres d’impôts ont été fermés entre 2007 et 2017 sur l’ensemble du territoire
Déserts médicaux ou scolaires, fermetures des postes et des gendarmeries, etc. L’abandon de certains territoires est documenté.
Mais l’implantation géographique n’est pas le seul motif de la difficulté, voire de l’impossibilité d’accès aux services publics et prestations sociales. La non-connaissance des services existants, la complexité de certaines démarches, l’inadaptation des services aux personnes en situation de handicap éloignent du service public celles et ceux qui devraient en bénéficier en premier lieu.
Cette note pose les jalons d’une refondation d’ampleur de l’organisation de notre République.
Elle regroupe des propositions qui vont du refus de toute privatisation des services non marchands et régaliens, au retour du monopole public pour les services en réseau. Elle identifie les pôles stratégiques afin de planifier la bifurcation écologique de notre tissu économique. Sur la base de critères – proximité, accessibilité, dignité, démocratie – elle propose de faire société plutôt que « faire entreprise ». Tel doit être l’objectif d’une refondation des services publics et d’un élargissement de leurs champs pour construire la République en commun. Les outils sont à portée de main pour planifier la bifurcation écologique et sociale d’un modèle libéral en perdition. Enfin, les fameux « jours heureux » n’existeront pour toutes et tous qu’en ouvrant les possibles, c’est-à-dire en généralisant les solidarités permises par les services publics.
EXTRAITS D'UN ARTICLE À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ AVEC LES PROPOSITIONS SUR LE SITE INTÉRÊT GÉNÉRAL