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La citoyenneté : entre normativité et factualité

La citoyenneté : entre normativité et factualité

Présentation

Peut-on véritablement envisager une sociologie de la citoyenneté? Une telle question peut, à prime abord, paraître incongrue. Toute réalité sociale peut en soi faire l’objet d’une sociologie particulière. Comme il s’est constitué une sociologie de la famille, des classes sociales, de l’ethnicité, etc., pourquoi faudrait-il s’interroger sur la possibilité d’une sociologie de la citoyenneté?

Mais justement si personne ne conteste l’existence comme réalité sociale de la famille, des classes, ou des identités ethniques, plusieurs sociologues, et pas des moindres, se sont interrogés sur l’existence réelle de la citoyenneté. Karl Marx ne faisait-il pas de la coupure entre l’homme (l’individu concret) et le citoyen (l’individu abstrait) la grande illusion de la modernité politique. Le citoyen moderne, ainsi détaché de la vie réelle, était, croyait-il, propulsé dans les nuages de la politique et par conséquent n’avait pas grand intérêt pour une science préoccupée particulièrement des fondements matériels de l’existence humaine. Émile Durkheim, pour sa part, n’attribuait pas grands mérites sociologiques aux conceptions constructivistes à la source des conceptions modernes du citoyen. En regard du contrat social de Rousseau n’affirmait-il pas, par exemple, qu’une telle réalité était assurément une fausseté historique. 

D’un certain point de vue, sociologie et citoyenneté participent effectivement de deux univers paradigmatiques différents. Comme le rappelle Dominique Schnapper, dans sa contribution au présent numéro (« Traditions nationales et connaissances rationnelles »), « le point de vue intellectuel propre à la sociologie est historique et relativiste », ou encore, pour reprendre la terminologie employée par Nicole Laurin (« Le démantèlement des institutions intermédiaires. Vers une nouvelle forme de domination »), la sociologie s’est historiquement intéressée à l’étude du poids des institutions intermédiaires sur la vie des individus. À l’encontre, pourrions-nous dire, de ce paradigme factuel (la société comme condensation de relations sociales), la citoyenneté repose sur un postulat contractuel qui met de l’avant la nature politique et volontairement construite des sociétés humaines? C’est pourquoi, alors que la sociologie serait du champ de la factualité, la citoyenneté relèverait de celui de la normativité, c’est-à-dire de cette capacité des sociétés humaines à se délier de leurs déterminismes sociaux et à créer librement et volontairement, au-delà des particularismes sociaux, une communauté politique. C’est cette distinction paradigmatique qui fonde la difficulté d’une sociologie de la citoyenneté, tout en faisant, par ailleurs de celle-ci, comme nous le verrons, un point d’entrée particulièrement révélateur des enjeux reliés à la sociabilité moderne.

EXTRAIT D'UN ARTICLE DE JOSEPH-YVON THÉRIAULT À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ SUR LE SITE DE LA REVUE SOCIOLOGIE ET SOCIÉTÉS