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La novlangue de George Orwell, un instrument de domination


De l’importance de la maîtrise de sa langue maternelle pour pouvoir penser librement et échapper à la manipulation des/par les mots. Car bien sûr, le langage peut être un instrument de domination. 


Esprit critique

Se défendre intellectuellement est l’autre nom d’un mot un peu galvaudé: l’esprit critique. L’auto-défense intellectuelle consiste effectivement à apprendre la pensée critique, c’est-à-dire apprendre à évaluer des arguments, à juger les informations et les idées qui nous sont soumises, sinon même «vendues». C’est aussi apprendre à formuler clairement ses idées et à les rendre convaincantes (y compris à nos propres yeux) parce qu’elles sont mieux fondées.

« Si nous avions un vrai système d’éducation, on y trouverait des cours d’autodéfense intellectuelle » Noam Chomsky

Commission Creel

La grande expérience fondatrice de la propagande institutionnelle en Amérique a eu lieu lors de la Première Guerre Mondiale, lorsque la Commission on Public Information ou Commission Creel, du nom de son Président, est créée pour conduire la population américaine, majoritairement pacifiste, à entrer en guerre. Le succès de cette Commission a été total et c’est là qu’est née une large part des instruments de propagande des démocraties actuelles.

Walter Lippmann, un de ses influents membres, souvent donné comme « le journaliste américain le plus écouté au monde après 1930 », décrit le travail de la commission comme une « révolution dans la pratique de la démocratie » ou une « minorité intelligente » chargée du domaine politique, est responsable de « fabriquer le consentement » du peuple, lorsque la minorité des « hommes responsables » ne parvient pas à l’obtenir par d’autres moyens, plus affichables. 

Cette « formation d’une opinion publique saine » servirait à se protéger « du piétinement et du hurlement du troupeau dérouté » (le peuple) ou de l’intervention d’un « intrus ignorant qui se mêle de tout ». Il signifie en somme que le rôle du citoyen est d’être un « spectateur », et non un « participant ». 

« Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l'apparence de la solidité à ce qui n'est que vent ». George Orwell

Bourdieu

Le sociologue et philosophe Pierre Bourdieu souligne : « les mots peuvent faire des ravages : islam, islamique ou islamiste – le foulard est-il islamique ou islamiste ? Et s’il s’agissait d’un fichu, sans plus ? Il m’arrive d’avoir envie de reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce qu’ils évoquent et des responsabilités qu’ils encourent en les évoquant, devant des milliers de téléspectateurs, sans les comprendre et sans comprendre qu’ils ne les comprennent pas. Parce que les mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses » (Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, 1996, p. 21).

Dénoter/connoter 

Prenez par exemple l’expression « pertes collatérales », avouez que ça a tout de même une autre gueule qu’ « assassinat de civils » ! 

Euphémisation :

  • Un policier abat un jeune homme en fuite d’une balle dans le dos : c’est une simple « bavure » et non un homicide ;
  • la police cogne sur des manifestant-e-s : ce n’est qu’une « intervention  musclée » ;
  • les villages sont bombardés depuis les airs : c’est une « pacification du territoire » ;
  • des contrôles au faciès sont organisés à grande échelle sur l’ensemble du territoire, suivis de rafles, d’enfermements dans des camps et d’expulsions forcées : il ne s’agit que de « maîtrise des flux migratoires », d’ « interpellations », de « placements en rétention » et de « reconduites à la frontière », voire de « rapatriements » ;
  • des gens sont emprisonnés sans procès ou abattus d’une balle dans la nuque, on appelle cela « la neutralisation d’éléments (jugés) dangereux » ;
  •  une entreprise organise un licenciement collectif : c’est un « plan social » (terme le plus fréquent) ou mieux encore (mais la formule n’a pas encore été pleinement adoptée par les journalistes) un « plan de sauvegarde de l’emploi » ;
  • on confisque des maisons, on les vole ou on les brûle, entraînant l’exode des populations : c’est un « transfert des populations » ou une «reconfiguration des frontières » ; 
  • le droit du travail, la protection sociale et les services publics sont démantelés, mais on ne parle que de « réforme », de « modernisation », de « réorganisation » ou d’ « assouplissement » ;
  • le propos raciste tenu par un ministre français de l’Intérieur (Brice Hortefeux) dans un lieu public (l’Université d’été de l’UMP) est requalifié en « boulette »(M6), « bourde » ou propos « lourdaud » (Libération), de « maladresse » ou de « dérapage » (Le Monde), autant de termes soulignant finalement son insignifiance ;
  • le viol commis par Roman Polanski sur une mineure de treize ans devient une simple « affaire de moeurs », Etc, etc.

Les luttes sociales sont  soit pathologisées, soit criminalisées, soit ridiculisées :

Les grévistes qui s’opposent aux « réformes » sont pathologisés (on peut parler d’« épidémie », de « fièvre », de « délire » ou de « crispation ») ou criminalisés (la grève devient une « prise d’otages » et les brèves séquestrations de patrons des « violences », voire des « actes terroristes » ; la chemise du DRH de Air France déchirée est présentée comme un « lynchage »

On peut aussi les disqualifier par le vocabulaire : on n’hésitera pas à parler de la « grogne » des travailleurs – métaphore ici qui les ramène au statut d’un animal (chien, voir un cochon et son groin ?). 

Des vertus de l’imprécision

Les mots paillasson

Avant, à l’entrée des entreprises, sur le paillasson lui-même parfois, il était inscrit « essuyer vos pieds en entrant ». Or, on n’essuie pas ses pieds, mais ses chaussures. C’est évident. Et pourtant, qui s’en rend compte ? Or, si on devait réellement examiner le sens des mots, on se rendrait compte qu’il a des tas de mots, des mots paillasson, qui parlent à tout le monde, mais ne disent rien, ou bien des choses très différentes selon les gens. 

Les pléonasmes

Les mots sont tellement vides parfois qu’on les redouble dans une expression qui devient pléonastique ; on colle alors deux termes ayant le même sens. Ils permettent de persuader à peu de frais que la réalité nommée correspond bien au concept qui la nomme. Il permet de renforcer le terme vacillant, de le recrédibiliser.

  • « démocratie participative » (qui s’opposerait à une démocratie autoritaire, peutêtre?)
  • « citoyenneté active » (Y aurait-il une citoyenneté passive? Est-ce encore de la citoyenneté ?)

Les mots-fouines

Cette stratégie est ainsi nommée parce que la fouine s’attaque aux œufs dans les nids des oiseaux, les perce et les gobe avant de laisser là la coquille vide. La maman oiseau croit apercevoir son œuf, mais il a été vidé de sa substance. Les mots-fouines font la même chose dans des propositions. On croit apercevoir un énoncé plein de contenu, mais un mot l’a vidé de sa substance. 

Certains adverbes de déforcement : peut-être, sans doute ; certains verbes : « il se peut que » ; le conditionnel « aurait » ou « pourrait » ; « aide » ou « peut contribuer à » ou « est considéré comme » (mieux encore « pourrait contribuer à » ou « pourrait être considéré comme ») ; l’usage des guillemets peut aussi vider un mot de son sens, comme l’ajout de tas de conditions (« si le taux d’intérêt restent inférieurs à 3% et que la réaction du marcher demeure positive à long terme, le taux de l’or pourrait monter et atteindre des sommets »).

Faire une affirmation est une entreprise parfois risquée – on s’expose à la contradiction, il peut être tentant de faire semblant de dire, pour se prémunir de l’erreur.

Les oxymores

Il s’agit d’accoler deux termes antinomiques. L’intérêt est de brouiller les cartes et d’empêcher une analyse ou une remise en cause de ces concepts, qui vont « dans le bon sens », puisqu’on peut toujours choisir celui des termes qui nous convient. 

  • la « courbe inversée du chômage » était une belle invention de François Hollande
  • une « augmentation négative », la « croissance négative » sont des formules incroyablement paradoxales que nos politiciens osent employer publiquement – Sarkozy était très fort à ce petit jeu !
  • « flexi-sécurité » (= droit, pour un patron, de virer plus facilement ses employés ; c’est l’employé qui est flexible, c’est-à-dire jetable, et c’est le licenciement qui est sécurisé : pas de préavis à payer en se séparant d’un travailleur) ;
  • « plan de sauvegarde de l’emploi » (=licenciement collectif) ;
  • « égalité des chances » est aussi une belle invention à la mode. Pourquoi est-ce oxymorique ? Ça ne parait peut-être pas évident ! Pourtant réfléchissez : « égalité » et « chance » sont deux mots qui s’opposent dans la réalité concrète puisque les chances précisément ne sont jamais égales. Le lièvre et la tortue ont la même ligne de départ, ils sont à égalité, mais ils n’ont pas tout à fait la même chance de ’emporter...

Jargon et expertise

Une expérience a été réalisée au début des 70 avec le pseudo « docteur Fox », lequel faisait une conférence intitulée: « La théorie mathématique des jeux et son application à la formation des médecins » devant des spécialistes en pédagogie et psychologie. Son exposé durait classiquement une heure et était suivi de 30 minutes d’échanges. Un questionnaire était ensuite administré pour connaître l’opinion de l’auditoire sur l’exposé du docteur. Tous les participants l’ont trouvé clair et stimulant. Aucun n’a remarqué que cette conférence était un tissu de sottises. Ce qu’elle était pourtant. L’affaire Fox faire penser aussi à l’affaire Sokal, c’est-à-dire à la publication en 1996 d’un article qui s’avéra ensuite être un canular par Sokal, professeur de physique à l’université de NY dans la revue Social Text, une revue d’études culturelles postmoderne, chef de file dans son domaine. Il s’agissait d’une expérience visant à « publier un article généreusement assaisonné de nonsens qui (a) sonne bien et (b) flatte les préconceptions idéologiques des éditeurs » et à voir si les éditeurs accepteraient l’article proposé. L’article est intitulé « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique ». Et il a berné effectivement le comité de lecture de cette célèbre revue scientifique.

L’hypothèse se confirme : un discours inintelligible, s’il est émis par une source légitime, tendra malgré tout à être accepté comme intelligible. 

4 techniques pour compliquer artificiellement le langage : les sigles, les anglicismes, les technicisateurs, les néologismes

Les sigles

Ils permettent de cacher la signification réelle du sigle, et donc de faire de la rétention d’informations sur des réalités à peu de frais. Ils permettent aussi de mesurer rapidement si quelqu’un est novice ou non.

  • SDF pour Clochard
  • DRH pour chef du personnel
  • TEC
  • SNCF
  • ZEP/ZUP/ZUPS
  • ONEM 
  • ONSS
  • CEB/CAPES/AESS/CESS

Les jeunes ont aussi leurs  sigles :

  • LOL
  • MDR
  • WTF, etc.

Les Anglicismes et autres langues

Une certaine mode consiste à remplacer des mots français par des mots anglais, qui se présentent finalement plus facilement que les mots français correspondants que cette mode contribue à faire disparaître. Pourquoi ? Les Anglicismes semblent revaloriser la réalité nommée, en la rendant plus dynamique, plus moderne, plus « cool », « In » et moins « has been », précisément. Parler par anglicismes permet peut-être de se situer dans l’échelle sociale, c’est plus « class ». Voire « upper class ». Peu d’ouvriers (si ce mot existe encore!) parlent anglais...

  • les petits boulots renommés job ;
  • le ménage nommé clean up ;
  • le turn-over pour parler de la « difficulté » de tenir un poste ;
  • le burn out pour nommer... le surmenage ;
  • le manager, le leader ou le coach pour le « chef », qui fait ringard et archaique ;
  • un team pour une équipe de travail ;
  • management pour direction du personnel ;
  • empowerment ;
  • brainstorming ;
  • win-win - le gagnant-gagnant - pour être tous des winners ;
  • up to date ou deadline ;

Néologismes et barbarismes

Top 12 des mots qui n’existent pas, mais qu’on utilise quand même. La langue française compte pas loin de 100.000 mots, et malgré tout on s'acharne à en inventer (et à en utiliser) de nouveaux. C'est bien sympa, mais le problème c'est que 

  • 1) ça n'est pas français 
  • 2) c'est moche, et 
  • 3) ça ne sert à rien puisqu'en général, on invente des mots pour en remplacer d'autres qui existent déjà. 
Par conséquent, merci par avance de supprimer ces quelques  mots de votre vocabulaire :

  • Nominer : S'ils sont très souvent utilisés, le verbe "nominer" et son participe passé "nominé" sont considérés comme des anglicismes inutiles issus de l’anglais nominee. Messieurs les présentateurs des Césars nous vous saurions donc gré de ne plus dire "nominés" mais "nommés". Merci bien.
  • Fuiter : Nous avons là affaire à un bon gros néologisme, notamment utilisé par nos copains journalistes pour parler à titre d'exemple d'écoutes ou de documents officiels. En vrai, on peut dire qu'il y a eu une fuite, mais on ne peut pas dire "mon tampon a fuité".
  • Chronophage : Créé au XXe siècle à partir des deux termes grecs chrono- et -phage, chronophage n'existe pas dans la langue française. En revanche, il est important de préciser que, contrairement à pas mal de mots inventés de toutes pièces, celui-ci est utile puisqu'il n'en existe pas d'autres pour désigner ce qu'il veut dire.
  • Candidater : Le nom candidat désigne une personne, un statut. On ne dira donc pas plus "candidater" que "avocater" ou "lauréater". Si vous voulez parler le français, vous direz plutôt "postuler, être candidat (à), briguer ou encore poser sa candidature".
  • Procrastinateur : Vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi votre correcteur d'orthographe ne reconnaissait pas le mot ? Eh bah c'est parce qu'il n'existe pas, tout simplement. Désormais, vous remplacerez donc "procrastinateur" par "grosse feignasse qui préfère mater des séries dans son lit en se rongeant les ongles de pieds plutôt que d'aller à la fac".
  • Abracadabrantesque : Rendu célèbre par notre grand copain Jacques Chirac, le terme est un néologisme inventé par Arthur Rimbaud dans son poème "Le Cœur supplicié" et donc un mot qui n'a pas sa place dans le dictionnaire. En revanche, si vous voulez vous la péter dans une conversation, ça reste une valeur sûre.
  • Confusant : Encore la sale influence des rosbeefs qui nous ont retourné le cerveau avec leur "confusing". Mais jusqu'à preuve du contraire il n'y a pas de verbe "confuser" en français, donc pas d'adjectif verbal "confusant". C'est triste, mais c'est comme ça.
  • Générer : A la base issue de l'étymologie latine "genus" qui a également donné "gène" et "génération", "générer" est revenu à la mode sous l'influence de l'anglais "to generate". Pour autant, l'Académie française ne valide pas et préfère que nous utilisions "engendrer", "produire" ou "causer". Sinon c'est la trempe.
  • Dangerosité : On ne sait pas trop qui a eu l'idée de rajouter ce drôle de suffixe à la fin de "danger", mais ce qui est sûr c'est que ça n'est pas très « françois » et que ça sert pour ainsi dire à que dalle. Vous l'aurez compris, c'est à bannir.
  • Solutionner :  Selon l’Académie française, "solutionner doit sa fortune aux irrégularités de la conjugaison du verbe résoudre, dont il est devenu un substitut". Pour autant, ça reste un mot drôlement dégueu donc on arrête de dire "Au jour d'aujourd'hui, je ne vois pas comment on va solutionner le problème."
  • Gratifiant : Si le verbe gratifier existe bien, l'adjectif verbal "gratifiant" est lui une vilaine erreur de français (en plus d'être franchement pas jojo). Dans les dîners mondains, on lui préférera donc "valorisant".
  • Inatteignable : Dans la catégorie des mots qui n'existent pas, le rajout du préfixe in- devant un mot qui lui existe bien est une petite manie très courante. Là le souci c'est que "inatteignable" c'est moche, et qu'on avait déjà le mot "inaccessible" pour dire exactement la même chose.

EXTRAITS D'UN ARTICLE DU SITE PENSER-CRITIQUE ET DU PDF : «AUTO-DÉFENSE INTELLECTUELLE : LEPOUVOIR DES MOTS, LES MOTS DU POUVOIR DU SITE PHILOCITÉ»

Crédit photo : AMJ Fotografia