Dans son livre Le Coup d’État citoyen, Romain Slitine fait un tour du monde des initiatives démocratiques remettant les citoyens au cœur de la vie politique. Quelles leçons en tirer pour la France ?
Il y a un désintérêt pour le fonctionnement de nos institutions. Les partis ne parviennent plus à recruter de militants, ni à produire d’idées nouvelles, ni à faire le lien avec la société civile. Les élections mobilisent de moins en moins. Et neuf Français sur dix considèrent que la classe politique ne prend pas en compte leurs attentes. La démocratie traverse donc une crise de représentativité – parce que nous l’avons réduite à un système où notre rôle se limite à voter tous les cinq ans pour qu’une minorité prenne des décisions au nom de tous. En dehors de ces échéances, beaucoup se sentent absents voire oubliés de la vie politique du pays. On a rendu les citoyens très passifs, alors même que la société est traversée par un fort désir de s’impliquer, de partager, de travailler ensemble, comme en témoigne notamment l’esprit collaboratif qui se développe avec Internet.
Primo, toutes ces initiatives font la part belle à l’expérimentation : on propose des solutions, on essaie, on assume ses échecs, on apprend de ses erreurs. Deuxio, elles reposent le plus souvent sur la pleine exploitation des outils numériques. Tertio, elles sont généralement portées par des individus qui ont un projet fort, une vision pour la société dans son ensemble – hors d’un clivage gauche-droite d’ailleurs.
Prenons celui de la Finlande. En 2012, le pays ratifie le Citizen Initiative Act, qui permet à la population de saisir directement le Parlement pour créer une loi. Sur le papier, c’est une avancée, mais dans les faits, la démarche est complexe à mettre en œuvre. C’est là qu’intervient Open Ministry, plateforme privée accompagnant les porteurs de projets de loi. Première étape : la proposition est soumise aux internautes, qui peuvent la commenter, l’améliorer, l’enrichir. Deuxième étape : des juristes bénévoles traduisent la proposition juridiquement afin de s’assurer qu’elle ne sera pas retoquée pour une question de forme. Troisième étape : la plateforme organise une campagne de communication pour récolter les suffrages de 50 000 citoyens, seuil minimal à partir duquel la proposition peut être soumise au Parlement. C’est ainsi que la loi ouvrant le mariage aux homosexuels a été votée en 2014 – sans accroc. En France, la décision est venue d’en haut, provoquant les remous que l’on sait. Là-bas, c’est le bas qui a pris les devants, et la discussion a été beaucoup plus sereine.
Tout est parti du constat que le citoyen est le grand exclu de la fabrication des lois. Celles-ci sont élaborées en chambres fermées, sans grande transparence. La plateforme Parlement & Citoyens permet à un député, un sénateur ou un ministre de mettre en ligne un projet de loi, ainsi que toutes les ressources documentaires pour comprendre celui-ci. Les citoyens peuvent alors proposer des amendements, soumis au vote des internautes. Le rapporteur de la loi fait ensuite la synthèse des contributions, en retient certaines et explique ses choix aux participants. La loi sur la biodiversité de Joël Labbé et la loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire, toutes deux promulguées durant le mandat de François Hollande, ont été rédigées de cette façon. Depuis, on a même vu une proposition de loi pour systématiser ce fonctionnement.