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Trois métiers impossibles


« Trois métiers impossibles »

 Dans un environnement sonore saturé, une petite voix lancinante, depuis un siècle et demi, est soudainement portée par un vent d'actualité, favorable: celle de Freud, qui nous rappelle qu'il y a trois métiers impossibles: Gouverner, Soigner, Éduquer. Est-ce les deux adages, «A l'impossible, nul n'est tenu» et « Impossible n'est pas français» qui expliquent que ce qui a pu être été lancé comme une boutade, se soit perdu dans la cohue des informations? Mais cette résurgence... a-t-elle un fond de vérité, pour mériter réflexion?  

 Nous constatons, en effet, que les efforts consentis par la famille politique pour convaincre, les alertes proférées par le personnel de santé, sont restées à quai, pendant que les critiques envers la fonction d'enseignant larguaient les amarres! Mais Gouverner, Soigner, Éduquer sont-ils pour autant des métiers impossibles ?

 Ce qui pourrait constituer un embryon de réponse, est la séparation que font les anglo-saxons entre métier et profession:

 ils précisent que toutes les professions sont des métiers, mais que tous les métiers ne sont pas des professions. Pourquoi? Parce que, tout simplement, une profession est un métier dans lequel il n'est ni opportun, ni possible de dicter aux praticiens, dans le détail, leurs procédures de travail, et leurs décisions. En fait on ne connaît pas à l'avance la solution aux problèmes. Et les conséquences qui en découlent, en sont la pratique du doute, de l'analyse et du développement professionnel, bien au-delà de la sauvegarde des intérêts professionnels. Ainsi la pratique professionnelle réside surtout dans la capacité à gérer les imprévus.

  En quoi sont-ils impossibles, ou jugés comme tels?

Éducation 

L'éducation, par exemple est le lieu exemplaire du pouvoir et de la puissance et son succès insuffisant attesterait  que  pouvoir et  autorité sont en souffrance.

«L'école au logis» a pu démontrer à certains, la distance entre instruire et éduquer, enseigner et apprendre et combien la rencontre d'un élève avec les savoirs, si complexe, est souvent déterminante: car si le savoir, avec les moyens modernes, est à la disposition de tous, rien ne permet de faire sien, les savoirs rencontrés! Il ne s'agit pas de transmettre mais de faire apprendre et la présence d'un passeur culturel, qui construise des chemins didactiques rigoureux  sera la bienvenue pour l'enrichissement de nouvelles grilles de lecture! Sans oublier que le savoir (de par son étymologie ) doit garder de la « saveur », la mise en appétit étant primordiale.

 Et malheur à celui qui pourrait croire que, « parce qu'il vaut mieux une tête bien faite à une tête bien pleine», l'on peut se passer des savoirs: une tête bien faite n'est jamais une tête  vide! 

Santé

 On retrouve dans ces caractéristiques tout ce qui concerne également le personnel de santé...même si en ce qui concerne ce dernier il n'y a pas obligation d'appropriation de savoirs: le patient n'est pas forcément apprenant mais l'apprenant n'est pas forcément.... patient!

 A la question tant de fois entendue mais si peu écoutée « quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ?» nous donnerons la priorité à « quels enfants allons nous laisser à la planète? » car éduquer, pour les adultes, c'est aussi ne pas oublier que nous n'avons pas le droit de compromettre la vie de générations futures dans l'intérêt, à court terme, de la nôtre!

 Et de l'école au logis, à l'écologie, nous devons faire emprunter le chemin escarpé de la politique, faire prendre conscience que le lien entre la création de richesse et la création de valeur est rompu, qu'il faut attirer l'attention sur le fait qu'à la base de toute société, de toute économie, il y a une non économie, faite de richesses intrinsèques qui ne sont échangeables contre rien d'autre, de dons sans contrepartie, de gratuité, de mises en commun, et se rappeler constamment que si les besoins sont limités, les désirs et les fantasmes, par contre ne le sont pas.

 Comme par hasard, le neveu de Freud, Edward Bernays, qui a inventé le marketing moderne en 1920, avait bien compris que le consommateur individualisé est le contraire du citoyen qui se sent responsable du bien commun, et que les couches dominantes pourront être tranquilles aussi longtemps que les gens se laisseront persuader que les biens de consommation individuels offrent des solutions à tous les problèmes. Combat titanesque d'une écologie politique qui ne cesse de s'insurger et de le crier depuis la création du magazine « La gueule ouverte » il y a près de 50 ans.

Gouvernance

 Gouverner suppose que l'on est arrivé au pouvoir. Et là encore, quel que soit le type de régime un lien existe selon la loi, selon le consentement, selon la confiance, selon la science, selon le régime....Mais impossible ne peut-être prononcé sous peine de donner à penser en une faiblesse du pouvoir....il ne peut advenir donc qu'à posteriori. 

 Nous voyons que l'Éduquer et le Soigner ne sont que des variations ou des déclinaisons de Gouverner.

 Il reste l'énigme de la soumission et de l'obéissance. 

 Enfin un problème nouveau s'ajoute aux difficultés, celui de l'élection. Celui d'être écartelé entre un principe de proximité et un principe de capacité. On cherche à la fois à élire des personnes qui vous ressemblent, expriment vos problèmes, donnent un langage à nos attentes et en même temps à désigner des personnes compétentes, capables de gouverner. 

 Dans le premier, il faut faire preuve de séduction, d'une capacité à répondre aux attentes immédiates, à présenter le monde comme malléable, puis quand on est au gouvernement on met l'accent sur les difficultés et les contraintes qui restreignent l'idéal.

Impossible ?

 Voilà que le mot impossible revient à la charge, et une démocratie post-électorale est en train de naître et de prospecter sur ce terreau, alimentée par une saine attitude de défiance, qui peut dégénérer en méfiance.  Aujourd'hui la crise de la démocratie est autant sociale qu'institutionnelle; elle est liée au développement d'inégalités qui ôtent toute consistance à l'idée de former un monde commun.

 Enfin, après tant de remarques, comment se fait-il que Gouverner, Soigner, Éduquer, soient encore autant prisés? Peut-être de par leurs difficultés? Le respect qu'ils inspirent? Ou tout simplement parce qu'ils sont impossibles... n'en déplaise à Zamaïcos, qui disait qu'il n'y a pas de sots métiers, voire impossibles ...mais il y a ceux qu'on laisse aux autres !  

 Jacky Arlettaz

Crédit Photo : World Bank Photo Collection & Stanley Zimny