A l'heure où les femmes sont tous les jours la cible d'interpellations, de harcèlement et d'agressions, que ce soit dans l'espace public et privé ou encore au travail, la sociologue et formatrice d'autodéfense féministe Irene Zeilinger propose dans un guide pratique réédité en poche une série d'astuces pour “poser ses limites et se sortir de situations difficiles”. Dans “Non, c'est non - Petit manuel d'autodéfense à l'usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire”, la fondatrice de l'association belge "Garance" revient également avec verve sur les clichés entourant cette pratique, qui vise avant tout à prévenir les violences et à lutter contre les rapports de domination.
L'autodéfense féministe est une approche globale de prévention primaire des violences fondées sur le genre. “Prévention primaire” renvoie à tout ce que l’on peut faire pour que ce type de violences n’arrive pas, tandis que “basées sur le genre” renvoie aux violences qui nous touchent différemment en fonction de notre position sociale, que l’on soit femme, personne non-binaire, etc. Enfin, c’est une approche globale car elle ne s’appuie pas que sur la défense physique, mais prend en compte toutes les dynamiques des différentes types d’agressions, ainsi que toutes les choses que l’on peut faire le plus tôt possible, afin d’arrêter la situation avant que cela ne soit nécessaire de se défendre physiquement.
Au début, on parlait peu, que ce soit les formatrices ou les participantes, des violences faites par les proches. Et cela a complètement changé depuis. Nous mettons beaucoup plus l’accent là-dessus, sur les mécanismes à l’œuvre qui rendent parfois plus difficile de se défendre contre des proches que contre des inconnus.
Les femmes ne sont pas homogènes, peuvent même être en conflit d’intérêt les unes avec les autres… Et il peut y avoir des rapports de domination entre femmes, par d’autres facettes de nos identités et appartenances. Le mouvement d’autodéfense féministe est plus conscient aujourd’hui de cette complexité, et prend beaucoup de soin de se rendre accessible à toutes les femmes, en répondant aux spécificités de chacune. Cela se voit dans des animations en non-mixité choisie, où la non-mixité ne concerne d’ailleurs pas que le genre mais aussi le fait d’être racisée, de vivre avec un handicap...
La pratique avait une image très caricaturale : c’était forcément un truc contre les hommes, ça allait rendre les femmes agressives, ça allait mener à la guerre des sexes… Aujourd’hui, en Belgique, l’autodéfense féministe est beaucoup plus connue, que ça soit des pouvoirs publics ou des médias… Et puis, il y a dix ans, les femmes qui faisaient de l’autodéfense étaient proches des assos féministes. Maintenant, on arrive à toucher des femmes pour qui c’est le premier contact avec le féminisme. Ainsi, l’autodéfense féministe joue un rôle dans l’émancipation des femmes beaucoup plus large que la sécurité.
Apprendre à se défendre peut confronter une participante à des violences qu'elle a vécues. Si jamais j'ai vécu des violences et je n’ai pas déjà atteint une certaine stabilité émotionnelle, participer à un stage de ce type peut être contre-productif. Ou encore je suis à une étape dans mon cheminement, où je n’ai pas tellement besoin d’apprendre à comment me défendre, mais où j’ai plutôt besoin d’exprimer tout ce qui m’est déjà arrivé.
Il y a bien évidemment de l’écoute dans les groupes d’autodéfense, mais ça ne sont pas des groupes de parole. Ce sont les femmes qui sont les seules personnes à savoir si elles sont prêtes pour ce type d’expérience. Si elles n’ont pas de ressources du tout à ce moment-là pour prendre bien soin d’elles-mêmes, peut-être que ça n’est pas le moment de faire un stage d’autodéfense.
Le but est de prévenir les violences, et le plus tôt on commence, mieux c’est. Mais si on commence tôt à réagir, la défense physique n'est pas forcément légitime aux yeux de la loi. Du coup, il faut d’autres outils : on est donc forcément dans le mental, l’émotionnel, le verbal. Et puis, même si j’ai des très bons outils physiques, si je n’arrive pas à gérer mes émotions, je ne vais pas forcément pouvoir les mettre à profit. Donc ce sont différents aspects de l’autodéfense, qui se complètent entre eux et se renforcent entre eux.
Statistiquement il y a des tendances. Dans le cadre d’agressions sexuelles, ce qui ressort des enquêtes est que le fait ne pas réagir a moins de chances de mettre un terme à l’agression, et a plus de risque d’aggraver les choses. Par exemple, quand c’est possible de le faire, fuir, c’est super – mais ça n’est pas toujours possible… C'est la même chose avec le fait de demander de l'aide : si c'est possible, ça marche bien. Mais quand on doit se limiter aux choses qu'on peut faire soi-même, on peut par exemple crier, dire clairement non, rendre public le problème, se défendre physiquement.. Bref, faire plein de choses différentes à la fois, en fonction de la situation.
Il est important de s’informer sur la question des violences commises par des proches. Pas pour être parano et voir le danger partout, mais pour être moins surprise si cela devait arriver. Être informée permet de moins culpabiliser, en se rendant compte que cela arrive à plein d’autres femmes, et, dans le même temps, cela permet de reconnaître ce type de situations plus tôt et donc d’avoir plus de facilités à s’en sortir.
Le problème de source, le fond de la question, est vraiment les rapports de domination. Que ce soit des rapports de domination de genre, de race, etc. Cela va au-delà du problème d’éducation. Et pour mettre un terme aux rapports de domination et à la violence, il faut changer toute la structure de la société.
Irene Zeilinger, Non c’est non - Petit manuel d’autodéfense à l’usage de toutes les femmes qui en ont marre de se faire emmerder sans rien dire, éd. La Découverte, 266 pages, 10,90 €
CES EXTRAITS SONT TIRÉS D'UN ARTICLE DES INROCKS À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ ICI
EN LIEN AVEC UN ATELIER "AUTODÉFENSE POUR LES FEMMES" AVEC L'ASSOCIATION "FAIRE FACE" (MÉTHODE FEMDOCHI) QUE NOUS AVONS ORGANISÉ LE 18 NOVEMBRE 2017