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Quatre pistes pour sortir de la voiture en ville


La pollution de l'air dans les écoles est une réalité d’autant plus inquiétante que les enfants, qui la subissent alors que leur organisme est encore immature, y sont particulièrement vulnérables. Des solutions existent. L’une des principales consiste à diminuer le trafic routier à proximité immédiate des établissements. Il faut pour cela oser organiser, plus largement à l'échelle des villes, la sortie du tout-voiture. 

Constat

Avec 67 000 morts par an, la pollution de l’air tue, en France, plus que l’alcool. Longtemps négligée, la thématique est de plus en plus reconnue comme une question prioritaire de santé publique, la France étant même mise en demeure par la Commission Européenne pour dépassement des valeurs limites de dioxyde d’azote et de particules fines. 

Les enfants, particulièrement vulnérables, sont exposés au sein même des écoles. En mars dernier, l’association Respire publiait pour la première fois la carte détaillée des niveaux d’exposition de tous les établissements scolaires d’Ile-de-France (crèches, écoles, collèges et lycées) aux principaux polluants de l’air. Le résultat est sans appel : les niveaux de pollution mesurés aux abords dépassent souvent les normes sanitaires, mettant en danger les enfants. 

Solutions ?

Quelles réponses mettre en place au niveau local et national ? La question fait l’objet d’un kit d'action conçu par Respire et la FCPE et publié ce 11 septembre dans Le Parisien, quelques mois après la parution d’une étude internationale visant à « intervenir sur l’environnement des écoles en milieu urbain » pour « protéger les enfants des troubles neuro-développementaux liés à la pollution de l’air ». Parmi les recommandations : construire les écoles à distance des axes routiers, diminuer la densité du trafic routier autour des écoles déjà existantes, ou encore situer les salles de classe le plus loin possible des axes routiers.

D’autres mesures existent (utiliser des produits d’entretien non polluants, optimiser la ventilation, etc.) mais le trafic routier est identifié comme un facteur majeur de pollution. Il n’est pas le seul, évidemment. Mais il est en première position. « En ville, environ 50% de la pollution émane de la voiture », résume Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité et qualité de l’air à l’ADEME. « Il faut diminuer la pollution automobile », a réclamé en juin dernier un collectif de médecins dénonçant l’augmentation de la fréquence de certaines maladies chroniques. 

Pour que les villes d’aujourd’hui et celles de demain soient plus respirables, pour répondre à l’urgence sanitaire comme à l’urgence climatique, et alors que progressent à la fois l’étalement urbain et la densification, voici 4 pistes pour sortir du tout-voiture:

1. Favoriser le vélo… et les vélobus 

S'Cool Bus

Tous les matins depuis la rentrée, en Normandie, après deux ans d’expérimentation dans l’agglomération Seine-Eure, 350 enfants sont emmenés à l’école à bord d’un véhicule vert et blanc créé sur mesure aux Pays-Bas, le S'Cool Bus. Aux manettes de ce vélo collectif pour 8 passagers coiffés de casques, un conducteur adulte, aidé d’une assistance électrique… et c’est tout. « Ce sont 8 voitures en moins qui viennent à l’école, se réjouit Nicolas Catarino, co-dirigeant de ce projet citoyen, né au sein d’une bande d'amis d’enfance. Si on considère qu’un véhicule évite le déplacement de 8 voitures et les émissions moyennes de celles-ci, ça fait 26 tonnes de CO2 économisées sur l’année. » 

« La moitié des trajets en voiture se marchent en 36 minutes, et se parcourent à vélo en 12 minutes »

N'est-ce pas irréaliste pour des trajets plus longs ou plus compliqués ? « 50% des déplacements en voiture en Ile-de-France sont inférieurs à 3 km (et 75% sont inférieurs à 7 km), rétorque illico Stein van Oosteren, porte-parole du collectif Vélo Ile-de-France, qui rassemble 28 associations cyclistes franciliennes. Cela veut dire que la moitié des trajets en voiture se marchent en 36 minutes, et se parcourent à vélo en 12 minutes. »

« il n’y a aujourd’hui aucun argument contre l’utilisation du vélo », à l’exception de « celui de la peur », qui devrait « disparaître à mesure que les aménagements s’amélioreront. » 

« Le vélo ne va pas être la solution à tout, sur toutes les distances, tempère volontiers Stein van Oosteren. Il y a évidemment l’intermodalité : on peut aller à la gare en vélo. Aux Pays-Bas, quand vous prenez un train, une personne sur deux a commencé son trajet à vélo. À la gare d’Utrecht, le plus grand garage à vélo du monde vient d'ouvrir, avec 12 500 places sur 3 étages ! »


Forcément, pour ce Néerlandais installé en Ile-de-France, le fossé qui sépare son pays d’origine du nôtre est abyssal. Mais « les Pays-Bas étaient un pays du tout-voiture il n’y a pas si longtemps, insiste-t-il. On cassait des pistes cyclables pour faire de la place à la voiture ! Le gouvernement a réagi quand le prix du pétrole a été multiplié par quatre dans les années 1970. La France a des dizaines d’années de retard. Sur les 28 pays européens, elle est 25ème sur la part modale vélo (2 à 3 %, contre 29 % aux Pays-Bas). Mais le vélo décolle enfin : le Plan Vélo - lancé en septembre 2018 - est une victoire, la vélosphère s’organise extrêmement bien, et l’envie des citoyens est très forte. La voiture était une bonne solution. Elle atteint ses limites. On est dans une phase d’ajustement. Dans une décennie, plein de parents se déplaceront en vélo comme aux Pays-Bas. »

2. Développer des zones à faibles émissions… et des péages urbains ? 

« ZFE » (zone à faibles émissions)

Dans le jargon, on dit « ZFE ». La zone à faibles émissions, qui concerne 15 territoires en France s'étant engagés à en créer d'ici fin 2020, et déjà adoptée par plus de 200 villes européennes, répond à une logique simple : il s’agit non pas de supprimer les voitures, mais d’éliminer progressivement les véhicules les plus polluants d’un périmètre défini, afin de permettre aux zones les plus touchées par la pollution atmosphérique de repasser rapidement sous les seuils définis au niveau européen. 

« Ce qui est intéressant, c’est qu’en ciblant 20 à 30% des véhicules, on pourrait diminuer de moitié la pollution automobile », explique Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité et qualité de l’air à l’ADEME. 

Le 8 octobre 2018, l’État ainsi que 15 métropoles dont la Métropole du Grand Paris ont signé un engagement pour développer d’ici fin 2020 des Zones à Faibles Émissions.  

Mais deux questions restent ouvertes. « Comment la faire respecter ? Les épisodes de circulation différenciée ont montré que les forces de l’ordre ont beau être mobilisées, la mesure est très peu respectée, note Mathieu Chassignet. Deuxièmement, la mesure n’a de sens qu’avec un accompagnement vers une mobilité alternative. L’État offre une prime à la conversion qui ne réduit pas le nombre de véhicules. Les collectivités, elles, peuvent faire des aides à l’achat de vélos, co-financer un abonnement aux transports en commun… Avec presque du cas par cas, sachant que les plus modestes sont ceux qui subissent le plus la pollution de l’air, et utilisent nettement moins la voiture que les plus riches ».

Même respectée, la ZFE ne saurait suffir : « Il faut absolument partager l’espace public de manière plus équitable. Cela peut passer par la suppression des voies de circulation automobile dans les villes. Quand on supprime des voies, une partie du trafic disparaît. Nos contradicteurs nous disent que ce trafic se déplacera, or on constate une évaporation de 10 à 20%. Il faut également piétonniser, créer des zones où l’on abaisse la vitesse, et mettre en place des Zones à Trafic Limité comme à Nantes. » « Avec les Zones à Trafic Limité, même si vous avez une voiture vertueuse, vous ne rentrez pas, précise Franck-Olivier Torro, délégué général de l'association Respire. « C'est beaucoup plus efficace que la ZFE, avec laquelle on ne propose aux gens que d'échanger leurs anciennes voitures contre des nouvelles, ce qui ne risque de ne rien résoudre, à part relancer l'industrie de la bagnole », lance-t-il, beaucoup plus sceptique. 

Péage urbain ?

Une autre solution est celle du péage urbain. Mis en oeuvre à Londres depuis 2003 et Stockholm depuis 2006 afin de réduire le nombre de véhicules et de réinvestir les sommes collectées dans des modes de transport non polluants, il s'agit en revanche d'une perspective très lointaine.

Un rapport a  été présenté, en octobre 2018 en Commission des finances par la sénatrice Fabienne Keller pour vanter les mérites de ces deux exemples étrangers (le trafic a par exemple diminué de 20% à Londres). Et un dispositif juridique est inscrit dans la Loi Grenelle II de 2010 pour permettre aux collectivités territoriales de les expérimenter. Mais en France, « personne n’en parle », tranche Mathieu Chassignet de l’ADEME, évoquant la « frilosité forte des élus ».

« Le péage urbain pourrait agir comme un outil dissuasif, mais ce doit être fait dans une stratégie de justice sociale, répond Lorelei Limousin, du Réseau Action Climat. Il faudrait à la fois une tarification sociale et solidaire, et dégager des financements pour s’assurer de pouvoir accompagner les alternatives. »

3. Recentrer la publicité sur les voitures les moins polluantes 

2e plus gros annonceur

L’idée a été proposée en mai par Matthieu Orphelin, député du Maine-et-Loire (ex-LREM) et Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, sous la forme d’un amendement proposé dans le cadre de la loi Mobilités examinée à l’Assemblée. Celui-ci a été rejeté mais le débat a été ouvert, la Ministre Elisabeth Borne ayant même annoncé qu’un message « pour encourager les transports en commun » sera bientôt présent sur les publicités pour voiture…

Pour les deux députés, la logique était simple : la publicité automobile, 2e plus gros annonceur derrière la grande distribution, représente 3,5 milliards d'euros de dépenses chaque année. Or, elle vante en toute liberté des « absurdités », s’insurgeait au printemps Matthieu Orphelin : « J'ai vu ce week-end une pub pour un pick-up d'une grande marque allemande, ces voitures énormes. Il consommait 8 litres aux 100, pesait 2,5 tonnes, mesurait plus de 5 mètres de long et était présenté comme la parfaite voiture citadine et familiale, idéale pour rouler en ville. Il faut être sérieux... »

« On interdit les pubs pour le tabac parce qu’il est nocif pour la santé. Il paraîtrait légitime de le faire pour les voitures qui consomment le plus »

Aujourd’hui, 38% des véhicules vendus en France sont des SUV (« sport utility vehicule »). « En 2009, on était à 5% de SUV, rappelle Mathieu Chassignet de l’ADEME. Si on poursuit ce rythme, d’ici 3 ou 4 ans, on sera à 50% de SUV vendus. Est-ce ce dont on a envie ? 

Par ailleurs, « au delà de la pub, comment orienter le marché sur des voitures plus sobres ? La voiture neuve de 2018 consomme plus que la voiture de 2017, et celle de 2017 plus que celle de 2016. Or c’était l’inverse pendant très longtemps. » Le rapport du Ministère de la transition écologique et solidaire publié le 28 août a montré en effet une augmentation des émissions de CO2 des véhicules neufs... 

Tant que les voitures neuves polluaient moins, le bonus-malus était le principal outil de politique publique, et il fonctionnait bien. Aujourd’hui, « les SUV n’ont pas de malus et passent entre les gouttes du barème : faudrait-il ajouter un malus sur le poids ?, s’interroge Mathieu Chassignet. C’est un indicateur simple qui traduit à la fois la dangerosité - les SUV étant par ailleurs deux à trois plus mortels pour les piétons - et la consommation de l'espace en ville, qui est rare. »

4. Réduire la mobilité 

Étalement urbain et « dévitalisation urbaine »

Enfin, subsiste un angle mort : la non-mobilité. Réfléchir à la réduction du trafic routier comme solution au problème de la pollution de l’air implique de s’intéresser à un sujet qui n’a pas eu sa place dans les discussions de la Loi mobilités à l’Assemblée : celui de l’étalement urbain, avec ses distances domicile-travail de plus en plus grandes ; et son pendant, la « dévitalisation urbaine »

« Il faut à tout prix lutter contre l’étalement urbain et essayer d’aller vers un urbanisme mixte d’un point de vue fonctionnel », insiste Lorelei Limousin, notamment pour que les villes regroupent au moins les services publics de base. Le Réseau Action Climat avait proposé d’instaurer, dans le cadre de la loi Mobilités, un moratoire sur les constructions et extensions de surfaces commerciales en périphérie des villes (celles-ci ayant encouragé les habitants des villes à faire leurs courses à l’extérieur, en voiture). Sans succès. À l’inverse, l’organisme déplore les projets d’extension ou de contournement routiers, qui seront générateurs de trafic supplémentaire. 

Un jour de télétravail par semaine correspond à une diminution de 20% des transports

« Les déplacements qui polluent le moins sont ceux que l’on évite », martelaient en juin dernier, dans une tribune publiée dans Le Monde, Olivier Blond, président de l’association Respire, et Frédéric Leonhardt, urbaniste, déplorant l’impasse créée par les discussions à l’Assemblée sur des solutions pouvant paraître hors-sujet, alors qu'elles en sont le centre : le développement du télétravail et la relocalisation de l'emploi à proximité des domiciles. 

« Aujourd'hui, on va exactement dans le mauvais sens, ajoute Mathieu Chassignet de l’ADEME : il y a d’un côté une injonction à la mobilité professionnelle - il faut être dynamique, changer de job - et de l’autre une injonction à la stabilité résidentielle, avec l'augmentation du taux de propriétaires. On devient sédentaire, mais on accepte de changer très fréquemment de boulot. Donc les distances augmentent, et la dynamique risque de s'accélérer. »

Suivrons-nous cet accroissement des distances indéfiniment ? Pour l'institut Momentum, auteur du rapport Biorégions 2050 rédigé pour le forum Vies mobiles (un think tank financé par la SNCF), ce serait oublier « la fin des moteurs thermiques, liée à la pénurie de pétrole et à des décisions politiques », qui pourrait changer radicalement, et en quelques décennies seulement, le visage de la région. « Chemins, sentes piétonnes et véloroutes mailleront tout le territoire, prévoient-ils. Les courtes distances permettront des déplacements à pied grâce au regroupement des activités. Un "urbanisme des courtes distances" sera privilégié. » Dans les projections de l'institut Momentum, seul un « grand effondrement » aura permis une telle métamorphose du territoire. Faut-il vraiment attendre d'en passer par là ?

LIRE L'ARTICLE INTÉGRAL D'ANNABELLE LAURENT DONT SONT TIRÉS CES EXTRAITS SUR LE SITE USBEK ET RICA


Les photos sont de Circe DenyerLinnaea Mallette