Le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, a annoncé que 2021 marquera la fin du « quoi qu’il en coûte ».
En mars 2020, selon Emmanuel Macron, la santé n’avait « pas de prix ». Son gouvernement était prêt à mobiliser « tous les moyens financiers » pour « sauver des vies ». Et ce, « quoi qu’il en coûte ». Mais, le président avait alors oublié de préciser que cette doctrine avait une date de péremption, et que la rigueur ferait son retour dans un futur proche.
Dans une interview aux Échos, son ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, n’a même pas attendu la fin de la pandémie pour en sonner le glas : « Si 2021 marquera la fin de la crise et de la pandémie comme tout le monde l’espère, il faut aussi que 2021 marque la sortie du “quoi qu’il en coûte”. » Clair et net. « Ce sont les Français qui vont payer la dette issue de cette crise sanitaire », a-t-il insisté dans un entretien à boursorama.com, au cas où un doute persistait sur les intentions de l’exécutif.
Déjà début décembre, en plein second confinement, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, annonçait le serrage de ceinture à venir puisqu’il « faut rembourser la dette » creusée par la pandémie jusqu’à atteindre 120 % du produit intérieur brut. Annulation de la dette ? Hors de question, répond le gouvernement. Augmentation de la fiscalité des plus riches ? Même pas la peine d’y penser. Après avoir arrosé les multinationales en aides non conditionnées, la Macronie a trouvé sa solution pour que les citoyens passent au tiroir-caisse : « Reprendre le chemin des réformes », celle des retraites en tête, et coupes budgétaires. Bienvenue dans le monde d’avant !
L'économiste et ancien ministre grec des Finances analyse les ressorts profonds de la crise actuelle, et invite à réfléchir aux moyens de transformer l’Union européenne.
À 59 ans, il a déjà vécu plusieurs vies. Universitaire né en Grèce et formé en Grande-Bretagne, enseignant dans plusieurs pays, Yanis Varoufakis fut conseiller économique du gouvernement grec, puis accepta le poste très exposé de ministre des Finances (2015) en pleine crise de la dette, avant de démissionner avec fracas. Depuis, celui qui se définit comme un « marxiste erratique » a fondé un mouvement politique, DiEM25, qui propose un « New Deal » européen.
La dette n’est jamais le problème. La dette n’est qu’un symptôme. Lorsque vous souffrez d’un cancer et que vous éprouvez de la douleur, vous n’incriminez pas la douleur, mais la maladie. Quel est le vrai problème, en l’occurrence ? C’est le capitalisme européen, et les déséquilibres qu’il crée. Jamais dans l’histoire de l’Europe, nous n’avions disposé d’autant d’argent, c’est-à-dire qu’il n’y a jamais eu autant de liquidités en circulation dans le système financier. Dans le même temps, en comparaison, vous avez le plus faible niveau d’investissement de l’histoire européenne. Ce faible niveau se traduit à la fois par une insuffisance de métiers de qualité et par une insuffisance de revenus pour la classe moyenne et les plus démunis. La BCE continue d’injecter de l’argent dans le système, ce qui ne fait qu’accroître les inégalités et réduire la demande et l’investissement pour des biens de qualité. C’est un cercle vicieux. Nous faisons face à une faillite totale du capitalisme européen, dont la dette n’est qu’une répercussion. Les gens qui se focalisent sur la dette le font à dessein, pour occulter la question du capitalisme.
À un niveau global, la crise est causée par l’irrationalité du capitalisme. Au niveau européen, elle est engendrée par l’irrationalité de l’architecture européenne, qui a créé une monnaie commune sans les mécanismes nécessaires pour garantir un équilibre économique. Cette architecture ne peut que créer des crises. Et une fois qu’une crise survient, elle profite à une oligarchie qui s’enrichit et qui n’a donc aucun intérêt à changer en profondeur l’architecture.
Si la BCE n’avait pas fait cela, le capitalisme se serait effondré totalement. En un sens, cette politique a fonctionné… pour les marchés financiers et les personnes qui s’y enrichissent : les gens qui travaillent sur le marché monétaire, par exemple, ne se sont probablement jamais aussi bien portés ! En revanche, la politique de la BCE n’a fonctionné ni pour l’Europe ni pour les peuples, pour une raison simple. La banque reste dans les clous du traité de Maastricht de 1992, qui l’a créée, et qui résulte d’un accord entre les élites françaises et allemandes. Or, les règles interdisent à la BCE de prêter de l’argent directement aux citoyens et aux États. Elles l’obligent à prêter aux banques (BNP, Société générale, etc.), ce qu’elle fait en ce moment à des taux d’intérêt négatifs.
Imaginez maintenant que vous êtes dirigeant de la Société générale ou de la Deutsche Bank et que vous recevez un coup de téléphone de Francfort qui vous annonce : « J’ai quelques milliards d’euros pour vous, pour cette semaine. Vous les voulez ? » Évidemment que vous acceptez. Mais vous n’allez pas prêter cet argent aux plus démunis, car vous craignez qu’ils ne vous remboursent jamais. Vous décrochez votre téléphone, et vous appelez Peugeot, Siemens, Volkswagen, bref les multinationales européennes, pour leur proposer de l’argent « gratuit ». Le problème, c’est que les coffres de ces entreprises sont déjà pleins. Elles ne vont pas investir l’argent de la BCE dans l’emploi, la transition écologique ou les nouvelles technologies. Elles vont prendre l’argent puis s’en servir pour racheter leurs propres actions. Cela fait grimper le cours de leurs actions, et cela enrichit les dirigeants de ces entreprises, dont une partie de la rémunération est indexée sur les cours de Bourse.
Ce n’est pas de réformes qu’il s’agit, mais d’une guerre de classes. Les gouvernants ne perdent jamais une occasion de transférer davantage d’argent de la poche des plus démunis vers celles des plus riches. Ces politiques ne suffiront de toute façon pas à réduire nos niveaux d’endettement, ce n’est d’ailleurs pas leur but.
Le mouvement DiEM25 a proposé un plan en trois étapes pour régler le problème de la dette publique européenne, dont voici les grandes lignes.
L’Union européenne est une structure profondément régressive, c’est évident. Mais il en va de même pour l’État français, et pourtant, aucun responsable politique de gauche ne propose que l’on s’en débarrasse ! Je ne veux pas me débarrasser de l’UE, je veux la transformer. Il n’y a pas forcément besoin de réformes radicales pour mettre en place le « New Deal vert » dont je parle. Roosevelt a mis en place le New Deal, et ce n’était pas un communiste, c’était un homme de droite. John Keynes était quant à lui un économiste libéral. Les solutions que nous proposons ne permettront évidemment pas de régler tous les problèmes structurels du capitalisme européen.
Les marchés financiers sont des parasites, qui pompent le sang de la société. Nous avons besoin d’un vaccin contre cela. Et l’une des premières choses à faire serait de créer un lien direct entre la BCE et les citoyens, cela pourrait se faire à travers la proposition évoquée plus haut. Allons plus loin. Imaginez que la BCE décide de créer un compte bancaire pour chacun d’entre nous. Vous n’auriez plus besoin de la Société générale et des autres établissements bancaires. La BCE doit devenir la banque des peuples, cela permettrait d’effacer les intermédiaires de l’équation (c’est-à-dire les banques privées).
Tout cela n’implique aucune difficulté technique, mais irait à l’encontre des intérêts de l’oligarchie. Est-ce que cette crise actuelle peut produire quelque chose de positif, à l’arrivée ? Oui. Mais cela dépend de nous, des choix que nous faisons. Ce sont nos actions qui le détermineront, plus que nos discours.
EXTRAITS DE DEUX ARTICLES À LIRE DANS LEUR INTÉGRALITÉ SUR LE SITE DE 'LHUMANITÉ ICI ET ICI