Alors que la fusion des deux géants Véolia et Suez a été confirmée le 12 avril dernier, la gestion et la distribution future de l’eau en France interroge. Maire de la petite commune de Boëseghem (Nord) et vice-présidente de la régie Noréade, Danielle Mametz milite pour une gestion publique de ce bien commun et observe dans de nombreuses villes le retour en force de ce contre-modèle, plus démocratique et écologique. Rencontre.
Le rachat de Suez par Véolia est une décision qui relève plus d’une stratégie commerciale de la multinationale Véolia que de l’envie d’être un « champion mondial de la transformation écologique » comme a pu l’affirmer son PDG, Antoine Frérot dans les colonnes du Monde. C’est un accord qui s’inscrit encore dans une logique de marché et d’actionnariat où l’eau est perçue avant tout comme une marchandise avec le but de faire davantage de profit. La conséquence serait une baisse de la concurrence entre ces grandes compagnies et un géant Véolia-Suez pourrait plus facilement imposer ses conditions tarifaires aux nombreuses collectivités qui ont délégué la gestion de l’eau à des opérateurs privés par exemple.
Cette fusion n’est pas une bonne nouvelle mais je ne pense pas qu’elle accentue une privatisation parce que face à Véolia-Suez, on assiste depuis ces dernières années à une remunicipalisation de la gestion de l’eau. Paris a créé sa régie publique en 2010, tout comme Nice en 2014, Rennes en 2015 ou encore Montpellier en 2016. Bordeaux et Lyon ont annoncé récemment leur volonté de ne pas renouveler leur contrat avec Véolia pour créer leur propre régie publique à partir de janvier 2023. Beaucoup de contrats arrivant à échéance, de nombreuses villes souhaitent que l’eau revienne aux mains des municipalités. En France, la part de la population desservie en eau potable par la gestion publique est passée de 28 à 40 % et de 43% à 58% pour l’assainissement et le traitement des eaux. C’est encourageant et cela montre que ce modèle, mieux armé face aux défis liés au changement climatique, ne cesse de croître.
Avec le réchauffement climatique, l’eau sera moins abondante, la ressource plus rare. D’où la nécessité de mettre en place des services plus sobres. Les opérateurs privés ont une logique curative en proposant des solutions – souvent coûteuses – de traitements en aval comme par exemple la réutilisation des eaux usées, le dessalement… pour traiter la pollution. A l’inverse, la gestion publique de l’eau permet une approche beaucoup plus globale de l’eau qui ne se contente pas de la logique « pomper, distribuer, rejeter », mais bien d’intégrer tout le grand cycle de l’eau du ciel à la mer et ainsi de proposer des solutions en amont en aidant les différents acteurs du territoire à s’adapter.
Depuis 2006, notre régie Noréade, pilotée par le syndicat intercommunal SIDEN-SIAN en charge de la distribution des eaux, accompagne tous les acteurs de la région pour leur faire comprendre comment leur activité impacte la qualité de l’eau, quelle pression est exercée sur le milieu et les conséquences sur les nappes phréatiques. Par exemple, nous avons aidé des agriculteurs à se reconvertir, ce qui a permis de diminuer la pression des nitrates dans le sol ou encore aider des brasseurs à diminuer leur consommation d’eau de moitié, passant de 4 litres d’eau à 2 litres d’eau pour 1 litre de bière. La sensibilisation est également très importante que ce soit pour un commerçant/artisan à l’instar d’un coiffeur, pas forcément conscient d’utiliser certains produits qui polluent les eaux mais également les citoyens. Si chacun prend conscience que chaque acte à un impact sur le milieu, cela permet de modifier les pratiques et de s’adapter plus durablement.
La gestion publique de l’eau est une alternative beaucoup plus démocratique puisqu’elle répond à une demande native des citoyens, désireux d’un contrôle transparent du bien commun essentiel que représente l’eau. Des commissions consultatives sont mises en place dans les régies par exemple. D’autant plus que cette gestion publique de l’eau permet d’agir plus efficacement sur le long terme par rapport aux entreprises privées qui ont besoin d’un retour sur investissement rapidement. Le renouvellement du réseau demande un investissement sur 50 ans et la gestion publique peut mieux l’appréhender. Ce contre-modèle garantit une proximité de services et un ancrage local des emplois.
C’est une démarche solidaire. Les territoires et les communes ne sont pas en compétition contrairement aux acteurs privés. On échange nos bonnes pratiques et cela même au niveau européen avec Aqua Publica Europea, l’équivalent européen de France Eau Publique dans lequel a été mis en place le dispositif Erasmus, soit un échange d’ingénierie entre services européen en termes d’eau publique. La gestion publique de l’eau ne répond à aucune couleur politique mais se fonde sur des motivations de pragmatisme, d’intérêt publique et de solidarité tarifaire, ce qui permet d’entamer au mieux une transition démocratique et écologique de notre société.
EXTRAITS D'UN ARTICLE À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ AVEC LES NOTES SUR LE SITE DE KAIZEN