Toujours clivant, le revenu universel gagne en légitimité à l’heure des discours sur l’ubérisation et les bouleversements annoncés de l’organisation du travail. Peut-il s’imposer comme la bonne solution ?
Quelques mois après la fin de la présidentielle, ils ont remis une pièce dans le jukebox. Fin mars 2018, treize présidents socialistes de conseils départementaux se réunissaient à Paris pour lancer une consultation en ligne sur le revenu de base. On ne présente quasiment plus la mesure. Une allocation inconditionnelle, d’un montant oscillant entre 500 et 1.000 euros mensuels, selon les différents programmes. Bien qu’elle ne trouve pour l’instant aucun écho auprès du chef de l’Etat, la proposition avance en France, notamment avec l’émergence d’une nouvelle organisation du travail.
L’ubérisation, que beaucoup d’économistes défendent, renforce l’idée d’un système de protection sociale obsolète, conçu pour des carrières linéaires et des revenus réguliers. “On sent que le CDI n’est plus la norme. On ne rentre plus dans une entreprise pour en sortir à l’âge de la retraite comme dans les années soixante”, affirme Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de Gironde, et à la tête du projet des “treize”. Nombreux sont aussi les métiers qui vont être détruits par le progrès technologique, même si les économistes ne tombent pas d’accord sur les chiffres. “Le rôle de la puissance publique est de combler les interstices au sein de ces nouveaux parcours fragmentés et d’apporter une solution face à la raréfaction du travail”, défend l’élu.
La consultation menée jusqu’au 31 mai déterminera si un même montant doit être versé à tous, ou si l’allocation doit être dégressive, en fonction des niveaux de revenus. Elle doit aussi permettre de définir le montant alloué (entre 545 et 845 euros) et l’arsenal fiscal à mettre en place pour financer la mesure.
De son côté, le philosophe Gaspard Koenig, président du think-thank libéral Génération Libre, défend le revenu LIBER, une allocation versée à tous les résidents légaux du territoire français, dès 14 ans. Objectif : assurer un minimum de prestations (nourriture, habillement, transport) dans les périodes où les revenus du travail manquent. La proposition de Génération Libre, modélisée en 2016 par l'économiste Marc de Basquiat, table sur une allocation (ou un crédit d’impôt pour ceux qui en payent) de 480 euros par mois pour chaque adulte résident légalement sur le territoire. Un couple sans enfant toucherait ainsi 960 euros par mois, contre 674 euros aujourd’hui au RSA. Gaspard Koenig propose d’ailleurs de supprimer cette dernière allocation, qu’il juge “stigmatisante pour les demandeurs”. De fait, le taux de non recours au RSA avoisine les 30%, selon les chiffres du comité national d’évaluation du RSA.
Alors que le principal point d’achoppement concerne le financement du revenu universel, ce think-thank propose qu’il soit financé par une taxe de 25% se substituant à l’impôt sur le revenu. Une personne sans ressource, par exemple, recevrait donc chaque mois 480 euros. Mais à partir de 2.000 euros de revenus, la personne deviendrait contributrice nette au système (tout en bénéficiant d’un crédit d’impôt de 480 euros). La mesure aurait ainsi “un effet neutre sur les finances publiques”, promet Marc de Basquiat.
Dans une société où le travail est de plus en plus précaire, la mise en place du revenu LIBER “redonnera au salarié le pouvoir de dire non”, assure Gaspard Koenig. En effet, l’allocation qu’il touchera inconditionnellement lui permettra de “refuser les tâches les plus pénibles et de négocier à la hausse les salaires sur les métiers les moins productifs”, précise le philosophe.
“Le revenu de base n’est ni réalisable, ni souhaitable”, tranche David Cayla, membre du collectif des Economistes Atterrés. “Les discours sur la fin du salariat me laissent perplexe. Les statistiques ne le prouvent pas et rien ne présage que la loi aille dans ce sens.” Et l’économiste en veut pour preuve la remise en question des modèles d’auto-entrepreneuriat de Deliveroo ou Uber par des décisions de justice au Royaume-uni ou aux Etats-Unis.
En outre, la proposition formulée par Génération Libre d’un “revenu universel a minima” n’est pas pertinente selon lui : “500 euros ça n’assure rien de plus que le RSA tel qu’il est pensé aujourd’hui”. Surtout, le caractère inconditionnel du revenu entraînerait la perte d’une information capitale sur les bénéficiaires. “En distribuant le même revenu à tous et non plus à ceux qui le demandent, on ne pourra plus repérer les gens dans le besoin. Le RSA, ce n’est pas qu’une aide monétaire, ce sont aussi des dispositifs d’accompagnement et de réinsertion. Sous couvert de simplification, on abandonne ces gens.”
Imaginer l’adoption du dispositif en moins de dix ans apparaît à tout le moins ambitieux. Mais si l’expérimentation espérée par les exécutifs locaux s’avère positive… Qui sait ? La petite musique du revenu universel pourrait s’installer pour de bon.
Extraits d'un article de Lucas Mediavilla sur le site Les Échos, lire l'article intégral ICI
EN LIEN AVEC NOTRE ATELIER PHILO DU 18 SEPTEMBRE 2017 : LE REVENU UNIVERSEL.