L’idée que les banques centrales puissent, par leur pouvoir de création monétaire, annuler purement et simplement les titres de dette publique qu’elles détiennent, sans conséquence négative sur l’économie, relèverait selon certains économistes de « l’économie vaudoue ». A l’opposé, se trouverait la dure réalité dont ces économistes s’autoproclament les garants et qu’ils rappellent en répétant à l’envi des expressions telles que : « Une dette est une dette »; « Annuler la dette, c’est toujours en transférer le fardeau à d’autres »; « Il n’y a pas d’argent magique»; « Il n’y a pas de repas gratuit » etc.
Pourtant, les banques privées pratiquent depuis longtemps cette économie vaudoue. L’origine serait à rechercher chez les orfèvres anglais au XVII°siècle, qui comprirent qu’il ne leur était pas nécessaire d’avoir autant d’or dans leur coffre que de certificats de dépôts d’or en circulation (et en principe émis contre dépôt). A l’occasion d’un prêt accordé à un client, ils pouvaient lui fournir un tel certificat. Les demandes de retrait d’or étant largement inférieures au total des certificats, ils pouvaient ainsi prêter plus (bien sûr dans certaines limites) que le total des dépôts, sans risque de faillite. La comptabilité en partie double permettait d’enregistrer ces opérations sans faire apparaître de déséquilibres à leur bilan.
Plusieurs siècles plus tard, la monnaie scripturale, celle que nous utilisons pour l’essentiel de nos transactions n’a plus aucune garantie matérielle, pas plus que les billets ou les pièces de monnaie. Ces moyens de paiement ne valent que par la confiance qu’on a en eux, et sont majoritairement créés par les banques commerciales.
Cette réalité n’a plus besoin d’être discutée malgré l’ignorance d’un certain nombre d’économistes, y compris parmi les plus reconnus. La Banque centrale d’Angleterre elle-même l’a expliqué dans un article intitulé La création monétaire dans l’économie moderne publiée en 2014 et dans lequel les économistes de la BoE expliquent : « Dans l’économie moderne, la majeure partie de la monnaie prend la forme de dépôts bancaires. Mais la manière dont ces dépôts bancaires sont créés est souvent mal comprise : le plus souvent, ils le sont via les prêts accordés par les banques commerciales. Lorsqu’une banque établit un prêt, elle crée simultanément un dépôt correspondant sur le compte bancaire de l’emprunteur, et crée ainsi de la nouvelle monnaie. […]. Ce n’est pas lorsque les ménages épargnent que les banques obtiennent des dépôts qui leur permettent de prêter, ce sont au contraire les prêts consentis par les banques qui créent des dépôts. ».
D’une part, elle a permis le découplage entre le financement de l’économie _dont le crédit est le déterminant premier et les contraintes physiques qui étaient liées à la production de métaux précieux dont sont faites les pièces métalliques.
Ce découplage continue à préoccuper celles et ceux qui y voient une liberté et une facilité de plus pour détruire la planète. En effet, il est urgent que ce « pouvoir magique » soit bien mis au service de la « reconstruction » écologique plus qu’a sa destruction. Ceci suppose de nouvelles régulations mais n’oblige en rien à revenir à l’or cette « relique barbare », comme disait Keynes. Nous faisons plusieurs propositions dans ce sens dans le livre « une monnaie écologique ».
D’autre part, ce mécanisme de création monétaire est fondé principalement sur le crédit. Dès lors, pour que de la monnaie soit injectée dans l’économie, il faut qu’un acteur économique, public ou privé, s’endette.
La création monétaire se paie donc au prix d’un endettement qui peut croitre plus vite que le PIB si les taux d’intérêt réels sont supérieurs au taux de croissance. Si l’on peut parler d’économie vaudoue c’est bien à propos de ce mauvais sort jeté sur nos économies qui les conduit à s’enfoncer dans le surendettement généralisé.
Pourquoi serait-il fatal que la création monétaire endette les acteurs économiques ? Pourquoi ne pas inventer une monnaie libre de dette, comme on a inventé une monnaie libre de garantie matérielle ? C’est ce que nous proposons dans notre livre « Une monnaie écologique ».
Mais à nouveau, il importe que les conditions de la création de cette monnaie libre soient telles que la monnaie soit bien au service de la reconstruction de la planète et non de sa destruction. Certains voient d’ailleurs dans le surendettement un moyen de limiter notre prédation. C’est malheureusement bien discutable : les modalités selon lesquelles les crédits sont accordés, tout comme celles qui président au refinancement bancaire ou au quantitative easing sont déconnectés du caractère durable ou pas des opérations financées. Quant à la finance verte, elle reste marginale et sans efficacité prouvée.
La sortie de l’économie vaudoue peut passer par l’abandon des dettes publiques détenues par la Banque centrale, ce qui revient à laisser circuler dans l’économie une monnaie qui aura été libérée de sa dette (en l’occurrence celle de l’Etat émetteur de l’obligation annulée). Mais pour que les contraintes écologiques soient respectées, il faut que cette annulation ne concerne que les dépenses publiques qui tiennent compte de la dimension environnementale. Il serait ainsi possible d’associer libération de la dette publique et reconstruction écologique par l’Etat. Ce serait par exemple le cas si le plan de relance annoncé par l’Europe était consacré au Green Deal et financé par émissions de dettes rachetées par la Banque centrale.