Il ne comprend pas. C’est incompréhensible, en effet : voilà que, fin mai, une enceinte connectée d’Amazon a enregistré le contenu de la conversation privée d’un couple à son insu et l’a envoyé à un tiers. Quand un journaliste du « Monde » (2 1/6) demande à Werner Vogels, le numéro 2 d’Amazon, ce qu’il s’est passé, voilà ce qu’il répond : « Pour une raison inconnue, il semble que l’enceinte a été activée et la conversation enregistrée. On a pourtant mis toute une série de garde-fous pour que cela ne puisse pas arriver : l’enceinte ne se met en route que quand vous dites “Alexa”, il y a une lumière bleue qui signale qu’elle enregistre, et puis il y a un bouton pour désactiver l’enceinte. Mais il est clair que cet incident, très étrange, n’aurait pas dû se produire. »
Un coup des Russes, peut-être ? Ou des Martiens ? Ça ne s’explique pas. On met des garde-fous, et ça ne sert à rien : la machine n’en fait qu’à sa tête. Et c’est un des pontes mondiaux de l’intelligence artificielle qui vous le dit.
Un bon gars, pourtant, ce Werner Vogels. Si Amazon vient de lancer en France son enceinte connectée Echo, c’est, il l’affirme, par amour de l’humanité :« Il y a plein de gens qui sont exclus de la révolution numérique, des vieux, des jeunes, des personnes qui ne savent parfois ni lire ni écrire… » Avec l’enceinte connectée (appelée aussi « assistant vocal ») d’Amazon, la vie est belle pour tout le monde :Vous la mettez au milieu de votre salon, vous lui parlez à haute voix, vous lui demandez tout ce que vous voulez, allumer la télé, monter le chauffage, baisser la lumière, activer les verrous connectés, mettre une musique (qu’elle trouvera facilement sur le service de streaming d’Amazon), commander une pizza ou une voiture Uber, vous donner la météo, les horaires de la SNCF, faire des achats en ligne, etc. Truffée de micros et branchée sur le Net, elle enregistre tout ce que vous dites, vous obéit au doigt et à l’œil (sauf quand elle n’en fait qu’à sa tête, évidemment) et stocke le tout en mémoire dans le cloud pour mieux vous connaître. Génial, non ?
Tellement génial que les multinationales Google (avec son Google Home) et Apple (avec son HomePod) ont, elles aussi, lancé leur assistant vocal, et qu’entre elles la bataille fait rage pour en fourguer à la terre entière, tout comme elles ont fourgué leurs Smartphone à quelques milliards d’exemplaires. Demain, espèrent-elles, celui qui n’aura pas son assistant vocal à la maison sera vu comme un chimpanzé, un archaïque, un qui veut revenir à la bougie. Déjà 31millions d’Américains ont leur Echo chez eux : impossible que le reste de la planète ne suive pas. Certes, ces espions installés à domicile sauront tout sur tout le monde, mais, comme nous sommes déjà fliqués par Google et nos portables, un peu plus, un peu moins.
Dans « 1984 », Big Brother contrôlait l’intimité de tous ses sujets grâce aux télécrans » installés à domicile. George Orwell n’avait pas imaginé qu’en 2018 les gens iraient jusqu’à payer pour en installer un chez eux.
Article de Jean-Luc Porquet dans Le Canard Enchaîné du 27 juin 2018
EN LIEN AVEC LA CONFÉRENCE GESTICULÉE DE LUNAR : «INFORMATIQUE OU LIBERTÉ» QUI SE DÉROULERA LE VENDREDI 16 NOVEMBRE 2018 À LA MÉDIATHÈQUE D'ARGELÈS-SUR-MER À 18:30