C’est Julian Huxley, le frère d’Aldous, qui le premier utilisa le terme « transhumanisme », dans un article de 1951 de la revue Psychiatrie, repris en 1957 dans son livre New Battles for a New Wine. « L’espèce humaine peut, si elle le souhaite, se transcender elle-même, et dans son ensemble et pour toujours », écrit-il. L’usage qu’il fait du terme à l’époque est un peu différent de son usage actuel. Il cherche à « développer le potentiel humain », en lien avec des questions sociales et écologiques, à la manière d’un Teilhard de Chardin.
Trois spécialistes, un médecin, un philosophe et un théologien, répondent ici aux questions que pose aujourd’hui ce sujet de société aussi crucial que fascinant. Un ouvrage accessible pour connaître et comprendre le transhumanisme.
À quel moment passe-t-on de la médecine qui soigne à la médecine qui améliore, voire qui augmente l’homme ? Y a-t-il un risque à ce que l’ajout d’implants ou de prothèses modifie la nature même de l’homme ? À quel moment le combat contre la souffrance et la maladie change-t-il de nature pour devenir un combat contre la finitude humaine ? Voilà les questions concrètes que pose le développement de la technoscience aujourd’hui. À l’extrême, le combat contre la finitude humaine s’est incarné dans un courant de pensée : le transhumanisme. Il y a trente ans, il ne concernait que quelques Américains hippies et technophiles de la côte ouest des États-Unis. Aujourd’hui le transhumanisme, et plus encore son idéologie, déployée notamment dans le rapport NBIC de 20021, mobilise de nombreux investisseurs et chercheurs de par le monde.
Depuis les débuts de l’humanité, la technique, et notamment la technique médicale, a eu pour but d’améliorer les conditions de vie de l’homme, sa situation. Ce qui est nouveau avec le transhumanisme, ce n’est pas la découverte qu’il y a en l’homme le désir de passer l’homme, c’est d’une part la captation du désir de dépassement par la technique moderne et plus encore le fait que les automates modernes (ordinateurs, robots) deviennent les modèles de l’humain, du fait de leurs performances. Par la technique, il s’agit non plus simplement d’améliorer les conditions de la vie humaine, mais bien d’en modifier la condition comme telle, la nature, en visant une augmentation des capacités humaines. « Il n’y a aucune raison pour que cette nature [humaine], avec de bonnes raisons et de bonnes précautions, ne puisse être radicalement changée » affirmait déjà le bioéthicien Engelhardt. Ray Kurzweil renchérit vingt ans plus tard
« Nous voulons devenir l’origine du futur, changer la vie au sens propre et non au sens figuré, créer de nouvelles espèces, adopter des clones humains, sélectionner nos gamètes, sculpter notre corps et nos esprits, apprivoiser nos gènes, dévorer des festins transgéniques, faire don de nos cellules-souches, voir les infrarouges, écouter les ultra-sons, sentir les phéromones, cultiver nos gènes, remplacer nos neurones, faire l’amour dans l’espace […], vivre vingt ans ou deux siècles ».
Faut-il s’inquiéter de ce qui ne concerne qu’une très infime minorité de chercheurs ? Ces théories ont-elles des effets dans la pratique médicale ordinaire et sur la vie de nos concitoyens ? Ne risque-t-on pas à vouloir tenter d’interpréter cela de façon trop critique d’oublier combien la médecine contemporaine a permis, par l’évolution de la technique, de soulager des patients, de sauver la vie de personnes qui seraient décédées il y a quelques dizaines d’années ? Bref, à trop critiquer « le progrès », ne risque-t-on pas de jeter le bébé avec l’eau du bain.
La réalisation de cette utopie est-elle souhaitable ? Ceux qui la défendent ne la pensent pas en termes d’utopie mais de mutation : « C’est plutôt une mutation des structures du plan matériel au plan virtuel, l’établissement du cerveau à l’envers, l’âme libérée du corps ou une interface exacte entre l’extérieur et l’intérieur, la fin des barrières entre nous et l’environnement ». Il s’agirait ni plus ni moins d’une mutation de la nature humaine. Cette mutation aurait-elle des conséquences majeures, pour l’homme, pour les relations des hommes entre eux, pour l’environnement ?
La question n’est pas nouvelle, elle a hanté les gnostiques des premiers siècles et nourrit plus que jamais nos œuvres de science-fiction. Elle est lourde de risques : risque de nous conduire à la négation de la personne humaine dans sa valeur incommensurable et risque de créer un nouveau type de société totalitaire, divisant l’humanité en sous-catégories, au mépris de l’égale valeur de toutes les personnes. D’autre part, si notre nature en vient à être modifiée, conserverons-nous ce qui fait de nous des humains ? Mais alors, qu’est-ce qui fait de nous des humains, quelle est l’essence de l’homme ? Une utopie comme le transhumanisme peut nous emmener, on le voit, vers des questions radicales.
Après deux ans de travaux de recherche à partir du thème Humanisme, transhumanisme, posthumanisme », le département d’éthique biomédicale du pôle de recherche du Collège des Bernardins a produit en mai 2017 un colloque conclusif intitulé « Critique de la raison transhumaniste ». Il s’agissait pour nous d’approfondir la question : « Qu’est-il en train de se passer ? » et d’apporter quelques éléments de discernement. C’est à cette réflexion que nous souhaiterions intéresser un public plus large, à travers ce texte qui reprend l’essentiel des interventions au colloque, à la lumière du travail qui l’a précédés. Après avoir situé le transhumanisme dans son contexte et décrypté ses fondements intellectuels, le propos devient critique et entre même en résistance avant de souligner les bienfaits de l’incarnation.
CES EXTRAITS SONT TIRÉS D'UN ARTICLE DE TRANSHUMANISME ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ ICI AVEC LE COURT REPORTAGE AUDIO DE RCF