Les mots ont-ils un sens caché, répondent-ils à une intentionnalité implicite du locuteur ? Les choix que nous faisons des mots peuvent changer une situation sans y paraître.
En effet, en ce temps de pandémie que penser de l’expression gestes barrières plutôt que gestes de protection. La barrière se visualise aisément et indique bien une séparation entre 2 lieux ou 2 personnes. On l’associe au mur. Le mur qui éloigne et empêche tout contact : mur des prisons, mur entre états (cf, USA et Mexique). La barrière et le mur séparent 2 entités. La protection elle, renvoie à un souci bienveillant. L’action de protéger est celle de préserver quelque chose : ici, il s’agit de rester en bonne santé. Et il n’y a aucune incidence sur le relationnel. Je me protège du virus et non de la personne.
Quant à la distanciation qualifiée de sociale et non de physique, elle est quotidiennement représentée dans les médias par ce schéma : --------→ 1 m. La distanciation se mesure donc. On s’écarte d’un mètre. Il s’agit bien d’une mesure physique. Alors, comment procède-t-on pour la distanciation sociale ? L'être humain est ontologiquement un être social, c'est-à-dire un être marqué par les relations dans lesquelles est inscrite sa vie, par les rapports qu’il entretient avec les autres. En psychologie sociale, une relation n’est pas un état mais un ensemble de processus à travers lesquels la vie sociale et individuelle s’exprime. Que devient alors le rapport à l’autre dans ce contexte-ci ?
Toujours dans ce contexte, le couvre-feu nous a été imposé. Selon le dictionnaire Larousse, le couvre-feu était autrefois, le signal qui indiquait le moment de rentrer chez soi et d'éteindre les lumières. Il s’agissait d’une mesure de police ou d’un ordre militaire interdisant temporairement de sortir des maisons. Éteindre les lumières : que faut-il entendre ? Allons-nous vers l’obscurité ou bien vers une forme d’obscurantisme ? Le couvre-feu nous interdisant de participer à toute vie culturelle et sociale. Ordre militaire à l’origine, sommes-nous donc en guerre ? Et qui dit guerre dit climat de peur et d’insécurité.
Les mots donc, peuvent pour un même objet, générer un référentiel anxiogène.
Par le passé, nous avions vu apparaître de nouvelles qualifications. Direction des ressources humaines remplaçant gestion du personnel. Voici donc les employés assimilés à des ressources au même titre que les ordinateurs, les bureaux, les consommables … Technicien de surface a remplacé homme de ménage. Et dans l’Éducation nationale de nouvelles expressions comme Tenir un crayon devient Apprendre à manier "l’outil scripteur", et une dictée, "de la vigilance orthographique".
Quels sont les objectifs de cette démarche pseudo scientifique ? Cela nous renvoie bien sûr à la fonction conative définie par Jackobson qui est une des fonctions du langage. (cf : Les six fonctions de la communication de Roman Jakobson)
La fonction conative concerne le récepteur. Elle marque la volonté du destinateur, celui qui parle, à agir sur le destinataire, à l'influencer. Son rôle est d'interpeller le récepteur, d'établir le lien avec lui. C'est évidemment la fonction la plus privilégiée par la publicité et la propagande.
Chère Philomène, le seul questionnement qui résulte de ce constat, est le suivant : quelle est l’intentionnalité du locuteur ? Ceci, afin de ne pas être influencé à notre insu et à nous permettre d’activer notre esprit critique.