Réfléchir. C’est évidemment l’objectif des sessions que mènent, tous azimuts, Les Philosophes publics. Avec une énergie gourmande, les professeurs membres du collectif distillent la pensée philosophique entre Marseille et Aix-en-Provence, auprès de policiers municipaux, de jeunes des maisons de quartier, de fonctionnaires territoriaux, d’un groupe de gilets jaunes, de chefs d’entreprise…
« L’idée est d’aller là où le débat n’est pas évident, dans des lieux parfois désinvestis, et d’amener la réflexion là où elle manque peut-être un peu, pose Marc Rosmini. Nous rompons avec la pratique de classe, avec la dissymétrie institutionnelle entre un prof tout-puissant et un élève qui s’autocensure. »
Ce cadre qu’ils veulent bienveillant mais exigeant, les philosophes marseillais l’installent aussi dans la rue. À chaque « Dimanche de la Canebière », par exemple, durant lequel la grande artère marseillaise est livrée aux piétons et aux spectacles de rue.
Le collectif investit régulièrement les rues de Marseille lors des « Dimanches de la Canebière ». / Les Philosophes publics
Ce jour-là, le collectif investit un pan de trottoir. Avec deux tables de pique-nique et une roue ornée de bandes de tissus colorés qui tourne, telle la roue de la fortune. Chaque couleur correspond à une thématique – le rose pour l’art, le vert pour la vérité, le jaune pour la démocratie, le marron pour le rire… –, qui se décline en une myriade de questions que piochent les participants.
« Voulez-vous venir philosopher avec nous ? », lance tout sourire Monique Pillant, enseignante au lycée Thiers, à deux passants intrigués. « De la philosophie ? Oh là là, j’ai horreur de ça », rétorque la femme… avant de s’asseoir sur le banc en plastique.
Accompagnée de son frère, la sexagénaire, tire la question suivante : « Le travail est-il forcément une souffrance ? » Ils ne sont pas d’accord. Le premier y voit un asservissement ; la seconde un vecteur d’épanouissement.
Autour des deux tables, les Marseillais en balade vont et viennent dans une gaieté désarmante. Accueillis par des enseignants qui interviennent toujours par deux ou trois. « Notre pratique de la parole suppose le pluralisme, souligne Monique Pillant. Parce que personne ne représente la parole philosophique. »
Une femme emmitouflée dans un épais pull orange lit le petit papier qu’elle a attrapé : « Peut-on habiter la ville ? » Comme avec les détenues de la maison d’arrêt, la discussion démarre de son vécu.
Cette habitante du centre-ville rentre de trois mois de marche en solitaire sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Elle cherchait à mettre de la distance avec ce Marseille pauvre et endeuillé après le drame de la rue d’Aubagne – huit morts dans l’effondrement de deux immeubles dégradés – elle vivait dans l’un d’eux. La ville, son bruit, sa pollution, sa surpopulation, son béton lui apparaissent soudain comme un territoire hostile, carcéral, un lieu de privation de liberté.
Deux touristes suisses-allemands de passage se greffent au débat. La ville, pour eux, ce sont d’abord ses habitants, l’échange, la pluralité. La surprise, aussi, affirme le voyageur, qui invoque le plaisir de se trouver dans « un ailleurs » et s’appuie sur le concept de « déterritorialisation » cher à Gilles Deleuze. Finalement tous se questionnent : est-on plus libre dans un petit village « à la fixité sociale terrible » ou dans une grande ville « parfois déshumanisante » ?
EXTRAITS D'UN ARTICLE À LIRE DANS SON INTÉGRALITÉ SUR LE SITE DU JOURNAL LA CROIX