Enjeux technologiquesAu Campus Biotech, scientifiques et religieux ont disserté mercredi sur le transhumanisme, en laissant de côté une partie du débat.
Le débat volait haut, mercredi, à la troisième édition de l’Artificial Intelligence Geneva Summit, qui s’est tenue au Campus Biotech de Sécheron. Le thème «Corps & âme, médecine et religion à l’aune de l’intelligence artificielle» a visiblement fait mouche: environ 150 personnes, hommes et femmes majoritairement dans la cinquantaine, ont écouté les conférenciers se succéder à la tribune, présentant les lendemains radieux de l’intelligence artificielle (IA).
Le professeur Grégoire Courtine, ingénieur à l’EPFL, démontre les progrès énormes permettant de faire remarcher un paraplégique grâce à un système sans fil implanté sous la colonne vertébrale et connecté au cerveau. Son équipe poursuit ses recherches pour connecter toutes les intentions de mouvement du cerveau à un boîtier intelligent, afin de permettre une démarche aussi fluide que celle d’une personne valide. «Je suis très optimiste à l’idée d’embrasser le futur, n’en déplaise à Yuval Noah Harari», confie le professeur, dont les travaux font grande impression sur les autres invités. C’est que le visionnaire auteur israélien cité, invité récent de l’Empowerment Foundation à l’EPFL, mettait en garde le même Grégoire Courtine contre les conséquences éthiques d’une telle découverte. Soit la possibilité de hacker les pensées et de stocker les données du cerveau de quelqu’un pour des motifs peu recommandables.
Chercheur en robotique, Nathanaël Jaurassé pointe les questions éthiques que soulève la réparation du handicap: est-ce aux handicapés de s’adapter à la norme, puisque la technologie le permet, ou est-il bon pour la société de s’adapter aux différents êtres humains et d’aménager son espace en conséquence?
Nicolas Bourdillon, chef de recherche de l’entreprise be.care, présente une technologie permettant de collecter les données de santé des particuliers et d’intervenir par des conseils de santé personnalisés dès la détection d’une baisse de régime. Si les avantages potentiels pour les coûts de la santé ainsi que pour la prévention de maladies graves sont vantés, le public saisit aussi par lui-même le risque potentiel d’une obligation de porter un tel dispositif pour être couvert par une assurance maladie, laquelle aurait accès en temps et en heure à notre condition physique.
Au fil de ses multiples interventions dans les tables rondes, l’historien des religions et médiologue français Odon Vallet déclenche peu à peu l’hilarité du public en vantant, à chaque prise de parole, le nombre d’«éminents Prix Nobel» soutenus par la bourse de sa fondation ou le prestige de sa propre carrière. Par ailleurs, il indique le risque d’un développement d’une IA à deux vitesses, laissant l’Afrique derrière elle: «La connexion internet y coûte quatre fois plus cher pour être quatre fois plus lente, ce qui limiterait nettement l’utilité des capteurs reliés à des réseaux de soins» tels que présentés par Nicolas Bourdillon.
Divisé en deux parties distinctes, le corps puis l’âme, l’après-midi se poursuit avec des débats mêlant spiritualité et IA. Grégoire Sommer, spécialiste de rhétorique byzantine, souligne le constat partagé entre la technologie et la religion que «l’homme est un peu mal fait et qu’il faudrait le refaire». Soit par l’augmentation de celui-ci dans la voie transhumaniste, soit par l’élévation de son âme par la spiritualité.
Pourtant, même à ce stade de la discussion, personne ne semble remarquer que les deux attitudes, technologique ou religieuse, séparent l’une comme l’autre l’âme du corps. Les trois représentants des courants religieux – un abbé de la Communauté de Saint-Jean, le président du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France et un psychanalyste de confession juive – viennent de religions qui estiment que le corps et ses besoins éloignent du salut. Point de soufie, de yogi ou de praticien de la méditation bouddhiste pour témoigner de l’importance du rapport au corps dans l’expérience spirituelle. Encore moins de sages-femmes contant le miracle et le mystère de la vie, ni, d’ailleurs, aucune femme sur les quinze intervenants et médiateurs.
Le danger de l’intelligence artificielle pourrait bien se révéler le même que celui des dogmes religieux: s’il n’est anticipé que par des personnes pensant le progrès sans tenir compte de l’unité du corps et de l’âme, il manque une partie importante de la réflexion. Lorsque certains religieux aspirent à la vie éternelle de l’âme pure, enfin délivrée de la prison charnelle, les chantres du transhumanisme travaillent à télécharger les pensées du cerveau directement sur un «cloud», afin de toucher à une certaine immortalité virtuelle. Est-ce l’avenir que nous souhaitons? Si ce n'est pas le cas, les organisateurs de prochains débats sur la question seraient bien avisés de faire participer aux discussions des personnes d’horizons plus divers.
LIRE L'ARTICLE INTÉGRAL SUR LA TRIBUNE DE GENÈVE
Image parDevanath & Ben Johnson de Pixabay