Les climatosceptiques assurent mener une croisade au nom du doute et de la complexité contre un prétendu dogme du réchauffement climatique. Olivier Rey détaille ici les motifs, parfois inavoués, de leur déni.
Ceux qui contestent aujourd’hui les travaux du GIEC se trouvant, scientifiquement parlant, extrêmement minoritaires, ils sont enclins, pour donner meilleure mine à leur position, à se présenter comme des combattants héroïques de la vérité contre les tenants de la «science officielle», tenue pour mensongère. Cependant, pour justifier leur scepticisme vis-à-vis des éléments avancés par le GIEC, les «climatosceptiques» ne cessent également d’affirmer à quel point le doute est une vertu scientifique cardinale, et que rien ne paraît jamais si assuré qui ne mérite d’être remis en cause : dès lors, ce seraient eux qui, en contestant les éléments avancés par le GIEC, seraient du côté de la science, contre une institution dogmatique.
Comment expliquer, si le réchauffement global d’origine anthropique est une fiction, que la quasi-totalité des climatologues y souscrivent ? La seule solution consiste à considérer que le discours scientifique actuel n’a de scientifique que le nom, et qu’il est en fait une «construction sociale » parmi d’autres. Voilà donc les «climatosceptiques» qui, tout en se présentant, avec leur doute systématique, comme les champions du véritable esprit scientifique, reprennent à leur compte les critiques virulentes de la science telles que les mouvements sociaux radicaux des années 1960 et 1970 purent les formuler.
Il est bien entendu que le climat est une entité trop complexe pour que les plus sophistiqués des modèles puissent prédire de façon certaine son évolution. Il n’en reste pas moins que ce qui est rationnel n’a jamais été d’attendre, pour les questions qui nous concernent, de disposer d’absolues certitudes pour agir, mais d’agir au présent en fonction des meilleurs renseignements qui sont en notre possession; de ne pas en appeler à une science idéale dont nous ne disposerons jamais, mais d'écouter ce que la science dont nous disposons aujourd’hui a à nous dire.
Dès le début des années 1950, le physicien canadien Gilbert Plass alerta le grand public sur le réchauffement climatique que le rejet dans l’atmosphère de gaz carbonique en grandes quantités allait engendrer. En 1955, John von Neumann estimait que ces rejets (encore modestes alors) avaient déjà entraîné un réchauffement global d’un demi-degré par rapport aux débuts de l’ère industrielle . En 1979, les conclusions du rapport Charney, commandé par l'administration américaine au National Research Council, furent suffisamment alarmantes pour entraîner, au cours de la décennie suivante, la mise en place du GIEC.
Aucun complot écolo-mondialiste dans cette histoire : seulement des scientifiques voyant des prédictions inquiétantes sortir de leurs modèles. Les «climatosceptiques » accusent volontiers les climatologues de prendre plaisir à affoler les populations avec leurs mises en garde : comme si les climatologues n'étaient pas les premiers effrayés par ce qui émerge de leurs travaux! Lesley Hugues, spécialiste australienne du climat, écrit : «Nous sommes vraiment une drôle de troupe, nous, les spécialistes du changement climatique. Comme les autres scientifiques, nous nous levons tous les matins pour nous diriger vers nos bureaux, nos laboratoires et nos terrains. Nous collectons et analysons nos données, puis nous écrivons des articles dans des revues savantes. Mais c’est là que nous déraillons : nous sommes les seuls membres de la communauté scientifique à espérer chaque jour nous tromper. Nous espérons nous tromper sur le rythme de la montée du niveau des océans, et sur le fait qu’une accélération aussi rapide risque d’inonder les foyers d’un milliard de personnes d’ici la fin du siècle. [.…] Nous espérons nous tromper sur la vitesse à laquelle fondent les glaciers des Andes et du Tibet, mettant en péril l’approvisionnement en eau douce de plus d’un sixième de la population mondiale. Nous espérons nous tromper sur le fait que les déplacements de population dus à l'augmentation des désastres climatiques feront probablement passer l’actuelle crise des réfugiés pour un événement dérisoire. Nous espérons, nous espérons, nous espérons. »
L’espoir d’une erreur est toujours permis. S’en remettre exclusivement à un tel espoir n'en serait pas moins insensé — d'autant qu’il ne cesse de décroître à mesure que les modèles se perfectionnent. Le principe de précaution demande aux autorités publiques de prendre les mesures appropriées «lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement ». Ce principe ne doit certes pas être invoqué à tout bout de champ, mais la question climatique entre par excellence dans son champ d'application.
C’est ainsi que les «climatosceptiques », tout en se réclamant des exigences scientifiques les plus élevées pour critiquer les rapports du GIEC, en arrivent dans les faits à saper la pertinence du discours scientifique. Pareille contradiction fait symptôme: ce qui les anime n’est pas le goût de la vérité, mais la volonté acharnée de nier les dangers liés à un réchauffement climatique accéléré et le rôle des activités humaines dans le processus.
Les causes du déni sont multiples. L’une d’entre elles est particulièrement stupide : à partir du moment où, aux États-Unis, le parti démocrate a accordé quelque attention à la question climatique, une bonne partie des républicains se sont mis à considérer celle-ci comme une fumisterie gauchiste -encouragés en cela par les intérêts économiques opposés à toute mesure qui viendrait mettre en cause leurs activités. De même que les fabricants de cigarettes se sont employés avec succès, pendant des décennies, à entretenir le doute sur le rôle du tabac dans le déclenchement des cancers du poumon, de même certaines industries s'emploient à alimenter le «scepticisme » à l'endroit du changement climatique et de ses causes — notamment par la promotion médiatique de points de vue «alternatifs», perversement présentés comme symétriques au consensus des climatologues. (On se rappellera, en France, la place démesurée accordée il y a dix ans aux propos d’un Claude Allègre dénonçant «l'imposture climatique», et dont l’incompétence et la mauvaise foi sur le sujet n’eurent d’égales que l’audience qui lui fut complaisamment donnée.)
Le déni a aussi des racines plus profondes. «Ô terre déplorable ! » s'écriait Voltaire après le tremblement de terre qui avait dévasté la ville de Lisbonne, le jour de la Toussaint 1755. «Éléments, animaux, humains, tout est en guerre. Il Le faut avouer, le mal est sur la terre.» Dès lors, quelle attitude devaient adopter les hommes éclairés, sinon s’atteler à la tâche de transformer le monde afin d'y introduire le bien dont il était totalement dépourvu ? «Le contrôle toujours plus grand de la nature, “la lutte contre la nature”, telle a été l’idée directrice en Europe au cours des trois derniers siècles» , résume le philosophe allemand Robert Spaemann. Mère Nature s’avérant une marâtre, c’est vers Mère technologie que les humains se sont tournés pour obtenir secours et sécurité. Il est vrai qu’au départ, la prise de possession de la terre au moyen de la technologie, la violence faite à la nature par son intermédiaire, semblaient plutôt d'essence virile. Pourtant, au fur et à mesure que nous avons pris l'habitude d’interposer entre nous et la nature quantité de dispositifs qui tiennent cette dernière à distance, et nous sommes confiés de plus en plus complétement à de tels dispositifs pour satisfaire nos besoins et nos désirs, le système technologique en est venu à jouer, pour chacun d’entre nous, un rôle comparable à celui que la mère joue auprès de son petit enfant : nourricière, protectrice, dispensatrice de tout bien.
Toute notre vie se passe «au sein » — d’abord les tétons, ensuite les connexions. Une panne, et c’est le drame. On comprend, dans ces conditions, quelle peut être l'intensité du désarroi à l’idée que le déploiement technologique, au lieu de nous protéger, de veiller sur notre vie, se mette à menacer celle-ci. Quel plus effroyable renversement, que celui de la bonne mère en harpie ? Et impossible de chercher refuge auprès de Mère Nature : non seulement celle-ci a ses dures exigences, que nous ne savons plus endurer, mais en plus, soûlée de coups, elle a perdu son éternelle jeunesse pour n'être plus qu’une vieille exsangue, au sein tari. Comment, alors, échapper à l’angoisse ? Par le déni. Quand bien même l'événement vient corroborer ses prévisions passées, chacun des rapports du GIEC suscite à sa publication une nouvelle flambée de déni - dernier rempart contre la panique.
Plus grave encore que le dérèglement climatique engendré par l’emballement technologique, est l’immaturité dans laquelle ce même emballement maintient les hommes — d’où s'ensuit que là où croît le danger, décroît aussi ce qui permettrait d’y faire face. Au fond, le plus urgent dans l’«urgence climatique », serait de refaire des adultes.