La 5G pourrait révolutionner notre façon de produire, mais aussi d’être contrôlé. Comment engager le débat, pourquoi engager le débat ? Il n’y a pas eu de débat sur le lancement d’Internet, ni sur les évolutions successives de la 2G, 3G, 4G… pourquoi y en aurait-il un pour la 5G ?
Nous prenons prétexte de la 5G pour mettre en question la numérisation. Le débat est plus large que l’apparition de la 5G, mais c’est un angle de vue compréhensible par un large public, une approche en quelque sorte pédagogique.
Comment ? en nous appuyant aussi bien sur des travaux pro 5G qu’anti 5G. Nous identifions cinq enjeux : les ondes électromagnétiques, la consommation d’énergie, la sécurité des données ; la transformation des systèmes de production et l’emploi et l’impact du virtuel.
L’objectif de la 5G est de pouvoir diffuser plus de données, plus rapidement. Différentes technologies seront utilisées, utilisant soit les basses fréquences (700 MHz) à large portée (utilisée par la 4G), soit à partir de 2023 des hautes fréquences (au-dessus de 26 GHz, ondes millimétriques) à fort débit mais faible portée, soit une fréquence intermédiaire autour de 3,5 GHz.
La 5G sera diffusée sur des zones (les cellules) plus restreintes que les générations précédentes, donc avec des antennes plus nombreuses mais moins puissantes. Le champ électromagnétique devrait être moins fort, sachant que pour ces réseaux le principal risque n’est plus l’antenne du réseau mais le récepteur (le smartphone).
Il y aura globalement plus de débits donc plus d’ondes mais à des fréquences différentes. Est-ce un danger pour les êtres vivants ? Le débat est vif, des centaines d’études semblent montrer un réel danger, les industriels et les organismes publics dans lesquels ils siègent minimisent ces risques (conflits d’intérêt potentiels). L’Agence Internationale pour la Recherche sur le Cancer (IARC) a classé les champs électromagnétiques de basses fréquences en 2002, et les radiations dues aux radiofréquences en 2011 comme carcinogènes potentiels pour l’homme (groupe 2B). On manque d’études sur le sujet.
Les fréquences supérieures à 26 GHertz sont connexes aux fréquences de la vapeur d’eau (24 à 28 Gherz), la pluie et la neige (38-40), les nuages et la glace (86-92), elles pourraient perturber les prévisions météorologiques, selon les puissances utilisées. Il faudra un accord international pour éviter des interférences sur ces fréquences, ce qui n’est pas encore acquis.
Rappelons d’abord que nous devrions diminuer de 40 % notre consommation d’énergie fossile avant 2030 et « atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six ». Les estimations de consommation d’énergie pour la 5G varient, mais vont dans le sens d’une augmentation.
Selon Guy Pujolle la consommation du réseau 5G serait sensiblement équivalente, à usage constant, à celle du réseau 4G. Plus précisément, la consommation des antennes sera inférieure (plus faible puissance, antennes directionnelles…), mais celle des centres de données sera supérieure (plus nombreux car situés à proximité des utilisateurs et équipés de logiciels de traitement adaptés aux différents usages).
Selon le Shift project, un équipement 5G consomme 3 fois plus qu’un équipement 4G, et ajouter des équipements 5G aux sites existants (2G, 3G, 4G) conduira à doubler la consommation du site.
Ce sont des estimations. Si les réseaux antérieurs étaient complètement absorbés par le réseau 5G, la consommation pourrait baisser. Mais tout ceci à usage constant. Comme l’intérêt de la 5G est la multiplication des terminaux et des usages (internet des objets, pilotage des chaînes de production, des véhicules dits autonomes, communication en situation mobile…) la consommation devrait augmenter sauf si de nouveaux progrès étaient faits. Le nombre d’objets connectés (machines, robots, montres, appareils électroménagers, capteurs de santé…) est évalué en milliards, les prévisions varient de quelques milliards à quelques dizaines de milliards. Par exemple il pourrait y avoir six à huit milliards de véhicules pilotés à distance. Au total, la consommation d’énergie de l’ensemble du système informatique et réseaux représente selon Guy Pujolle 8% de l’empreinte carbone totale (d’autres sources indiquent 3% ou 1,7 %).
A cela il faudra rajouter l’énergie nécessaire à la fabrication des éléments de réseau, et surtout à la production des milliards de terminaux et d’objets connectés que nous souhaiterons relier via ce réseau. Augmentation du nombre d’objets connectés et augmentation du débit, il est plus que probable que, même avec des progrès des technologies, la consommation totale d’énergie augmente.
De plus il existe une alternative à la 5G pour connecter des objets (IoT internet des objets), le LoRaWan (Low Power Wide Area Networks), Wifi, Sigfox.., avec un débit très faible, et une énergie dépensée moins importante. C’est en place dans 162 pays actuellement avec des applications dans l’agriculture, l’industrie, les services, l’urbanisme… Tous les futurs projets ne sont pas couverts, mais en a-t-on besoin ?
Ce système a vocation à élargir encore la collecte de données personnelles pour des fins de marketing. La sécurité est donc un problème crucial.
Les données ne seront jamais totalement protégées, la seule façon d’éviter le piratage étant de ne pas être sur les réseaux, de payer en liquide, d’utiliser une carte routière pour trouver sa route etc. Par rapport à la 5G la meilleure façon de se protéger sera donc de limiter au maximum les objets connectés, ce qui supposera une vigilance constante, les objets seront de plus en plus vendus avec un kit de connexion.
La question de la sécurité se pose de façon différente selon la structure qui sera adoptée pour le réseau. Soit une structure décentralisée, avec des centres serveurs situés à proximité des usagers, et le piratage devra se faire sur chaque centre serveur, il pourra se faire mais concernera une population limitée. Soit une structure centralisée, par exemple au niveau d’un État, les moyens de lutter contre le piratage pourront être plus importants, mais cela augmente le risque de contrôle de la population par un pouvoir de type dictatorial (comme en Chine).
Le problème n’est pas nouveau, mais la 5G sera un réseau plus large que les précédents, plus efficace en termes de communication, mais donc aussi plus vulnérable puisque le nombre de portes d’entrée sera plus important.
Si l’objectif des promoteurs de la 5G est de gagner de l’argent, son objet est la transformation des systèmes de production de biens (usine 4.0) et de services, avec l’argument d’une forte augmentation de la productivité du travail (production par personne) et du rendement du capital investi.
Mais ceci ne dit rien du rendement matière (quantité produite/matières premières consommées) ni du rendement énergétique (quantité produire/énergie consommée), deux indicateurs clefs pour notre avenir. Si la 5G permet de produire plus, nous consommerons plus de matière, et probablement plus d’énergie, pas par unité produite, mais en augmentant le nombre d’unités produites (c’est l’effet rebond ). Il faut produire moins et réparer plus. Mais pour la réparation, la 5G est-elle vraiment adaptée ?
La productivité par personne est un enjeu micro économique, important pour une entreprise. Il est contreproductif au niveau global et pour notre avenir. Et l’on a montré dans un secteur particulier, l’agriculture biologique que l’on pouvait diminuer la productivité par personne et augmenter la rentabilité des capitaux investis.
Certaines applications de la 5G peuvent être utiles, en télémédecine par exemple, mais nul besoin d’en faire un réseau grand public. D’autres sont à discuter comme les véhicules dits autonomes ou la virtualisation des achats.
Certaines applications numériques peuvent permettre de produire autant en consommant moins, mais ce n’est pas tant une question de technique que d’usage de cette technologie, sinon l’effet rebond n’est jamais loin.
Les études disponibles indiqueraient que la numérisation créerait 20 millions d’emplois au niveau mondial pour le réseau lui-même, puis la suppression de millions d’emploi dans la production de biens et de services, les transports, le commerce… le bilan global serait négatif, ce que montrent aussi les dernières études plus globales sur le sujet comme celle de l’université d’Oxford.
Ces prévisions sont à prendre avec précautions, mais l’exemple des caisses automatiques dans les supermarchés illustre bien, avec une technologie beaucoup moins avancée, les possibilités du système. Prenons l’exemple des préparateurs de commande dans les entrepôts en logistique. Un travail dur, souvent au froid, à un rythme soutenu. La 5G permettrait sans doute de l’automatiser complètement. Mais le problème est-il celui des conditions de travail de ce type de poste, ou sa finalité : contribuer à faire consommer toujours plus ?
La 5G permettra de multiplier les applications dans le virtuel, visioconférences, simulation de conduite, visites immersives…
C’est évidemment utile, par exemple la visioconférence en période de confinement, ou la simulation pour apprendre à piloter un gros bateau ou un avion, la télémédecine. On trouve toujours des applications utiles pour les innovations, mais elles peuvent aussi nous rendre aveugles.
Nous avons un besoin urgent de nous reconnecter à la réalité concrète, pas en images, de retrouver notre sensibilité à la nature , impossible à retrouver de manière virtuelle. C’est cette perte d’expérience sensorielle qui fait que nous ne sommes pas sensibles à la disparition des espèces, aux menaces sur notre propre disparition. Les rencontres virtuelles nous permettent de rencontrer des « mêmes » mais pas l’altérité, les personnes sans abri, les migrants, les personnes âgées de notre quartier.
Le virtuel permet de s’échapper du réel en prétendant le recréer, alors que l’urgence est de revenir dans le réel. Les enfants d’aujourd’hui sont capables de manipuler un ordinateur, beaucoup moins de planter un clou. Les expériences des pays nordiques d’écoles dans la nature sont une alternative intéressante.
Il ne sera sans doute pas possible de refuser le développement de la 5G mais on peut la limiter par exemple aux usages médicaux par des réseaux dédiés. Et il est peut-être plus important de compléter la couverture réseau par la fibre. Il est de la responsabilité de chacun de choisir, ou non, d’utiliser de nouveaux objets connectés, de se connecter en mobilité, de regarder des vidéos sur le réseau, d’accepter des projets d’infrastructures publiques du type ville intelligente, voies équipées pour des voitures autonomes (en fait dépendantes du réseau) etc.
Pour conclure, reprenons cette réflexion de Romano Guardini, cité par le pape François, « en dernière analyse, ce qui est en jeu dans la technique, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la domination : une domination au sens le plus extrême de ce terme » , qui rejoint les propos d’un spécialiste du sujet : « On ne peut pas s’en remettre uniquement aux acteurs privés, les États doivent prendre leurs responsabilités. […] Certains des acteurs [privés]ont en réalité un but politique en tête, prendre le pouvoir en allant au-delà de la logique des États. »