Si les technologies sur lesquelles se fondent les transhumanistes – biotechnologies, intelligence artificielle, neurosciences… – progressent à un rythme très rapide, les prédictions annoncées par ce mouvement ne seraient qu’illusoires et fantasmatiques selon les chercheurs Jean Mariani et Danièle Tritsch qui nous invitent à faire la part entre une « économie des promesses » et de réelles avancées scientifiques.
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Le transhumanisme est un mouvement qui, en s’appuyant sur les progrès de la biologie et de l’intelligence artificielle, défend l’idée de transformer ou dépasser l’homme pour créer un post-humain, ou un transhumain, aux capacités supérieures à celles des êtres actuels. Cette transformation s’envisage au niveau individuel, mais aussi collectif, conduisant alors à une humanité nouvelle. Différentes facultés physiques ou mentales et cognitives de l’être humain seraient concernées : il verra dans l’obscurité, ne connaîtra plus la fatigue et ne se cassera pas le col du fémur en glissant… Ses capacités intellectuelles seront décuplées et sa mémoire prodigieuse. Équipé d’un exosquelette intelligent, doté de puces dans le cerveau, ce super-homme deviendra plus performant, plus créatif, plus empathique. Son cerveau s’il devient malade sera guéri ou au moins réparé efficacement. Le but ultime ? Fusionner l’homme et l’ordinateur après l’avoir soustrait au vieillissement et à la mort. Illusions, fantasmes, escroquerie, imposture ?
« Vivre 300 ans, ce sera un jour possible », titrait L’Express en 2016, commentant le livre de Luc Ferry, La révolution transhumaniste. « La mort de la mort » a été annoncée par Laurent Alexandre, apôtre zélé de ce courant d’idées. Tout cela n’est que fantasmes. Les avancées de la recherche en biologie et en médecine, en particulier dans le domaine du vieillissement, sont réelles mais actuellement insuffisantes pour nous faire vivre si longtemps. Le vieillissement est inéluctable même s’il y a des espoirs sérieux pour qu’il se déroule en meilleure santé, y compris pour la longévité cérébrale. Hélas, les maladies neurodégénératives conduisent souvent à une perte d’autonomie pour des millions de personnes dans le monde. Pour longtemps encore, on soigne mais on ne guérit pas. Les progrès des cinquante dernières années permettent de bien mieux connaître le cerveau mais ils n’ont entraîné que peu de retombées thérapeutiques. Toutes les prédictions annoncées par les transhumanistes sont, pour le moins, fausses.
L’intelligence artificielle (IA) est en plein essor. Elle est partout, dans notre quotidien, la politique, les médias et elle bouleverse notre société. L’IA permet d’énormes avancées technologiques dans de nombreux domaines du quotidien, de la santé, du transport… Elle rivalise – voir dépasse – l’être humain dans la réalisation de certaines tâches. N’a-t-elle pas battu le champion du monde au jeu de go ?!
Cet engouement pour l’IA conduit à des allégations extravagantes : Ray Kurzweil, le « pape » de la singularité, affirme que grâce à l’IA, l’être humain pourra réparer son enveloppe fragile vouée au déclin et mieux encore, fusionner son esprit avec la machine pour sauter dans les bras de l’éternité. Pourra-t-on un jour « télécharger » le cerveau d’une personne dans une machine ? Pour cela, il faudrait en connaître le fonctionnement, et élucider les différences interindividuelles entre les cerveaux de deux êtres. L’intelligence artificielle ne peut encore « émuler » un outil aussi compliqué, performant et changeant que le cerveau humain. Le plus grand obstacle n’est pas dans les progrès de l’IA mais dans les limites des connaissances biologiques. Le cerveau de chaque individu est unique, mais la biologie n’a actuellement rien à dire sur le processus d’individuation du cerveau définissant notre « soi » (le self). Transférer l’esprit, les émotions, le sens critique, l’humour ou l’analyse de la pensée d’autrui depuis le cerveau vers une puce afin d’aboutir à une vie éternelle débarrassée d’un cerveau vieillissant, est un fantasme de quelques mégalomanes. Oui, la machine peut être meilleure que l’être humain et mimer un comportement intelligent mais uniquement dans certaines tâches et pas pour tout.
Les dangers sont multiples (pour la protection des données, par exemple), mais l’un des arguments contre le transhumanisme consiste à dire que seuls les plus riches auront accès aux technologies augmentatives (implants neuronaux, prothèses bioniques voire modifications génétiques), leur conférant un avantage indéniable. Certes, les technologies – les NBIC : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives –, sur lesquelles se fondent les transhumanistes, progressent à un rythme qui devrait conduire à une baisse significative de leur coût (le séquençage de l’ADN en est un exemple). Il reste difficile de ne pas voir apparaître deux catégories d’humains : êtres augmentés ou non ; malades ou en pleine forme, immortels ou simples mortels !
La tentation eugéniste est forte ! L’eugénisme de l’intelligence humaine considère le quotient intellectuel, le fameux QI, comme un indicateur fiable de l’intelligence et en infère des prédictions très incertaines sur l’héritabilité de celle-ci. Or, l’intelligence est difficile à définir en tant que telle. « Le QI est un curseur, qui mesure UNE des performances de l’intelligence, l’abstraction logico-mathématique et les capacités verbales », estime le professeur Stanislas Lyonnet.
Beaucoup suggèrent que l’intelligence humaine pourrait être bientôt dépassée par l’intelligence artificielle. Cette peur trahit une incompréhension de ce qu’est l’intelligence humaine. Elle est pluridimensionnelle et non linéaire, chaque type de cognition répondant à un besoin spécifique lié à l’adaptation d’un système biologique à son environnement et à une fonction physiologique. La question du support (corps biologique versus puces en silicium) conditionne et « donne un sens » à la nature profonde d’une intelligence. Les applications dérivées du machine learning seront utilisées par l’intelligence humaine mais ne resteront que des outils mis à notre disposition.
Marketing de la peur et économie des promesses
Derrière le mythe transhumaniste s’avance masquée une gigantesque toile d’intérêts économiques. Les transhumanistes sont le pur produit d’une société où les puissances de l’argent, banques, multinationales industrielles et politiques règnent en maîtres. Ils créent une véritable « économie des promesses » [...]
Face à ces allégations, il faut prendre un certain recul épistémologique et être conscients de nos biais culturels si nous voulons faire le tri entre les effets d’annonces, les promesses démiurgiques et la réalité des avancées scientifiques. Il ne s’agit pas de refuser d’emblée les implants intracérébraux, la thérapie génique, les prothèses bioniques ou la sélection des cellules souches, mais de rester vigilants quant au rôle systémique des usages qui en sera fait.
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EN LIEN AVEC LE THÈME DES INTERVENTIONS EN 2019 À L'UPPM : LE TRANSHUMANISME