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Existe-t-il une violence légitime ? Ou la loi du plus fort vs la force de la loi

Table des matières

La violence peut-elle être légitime ?

La violence au fondement de la loi

La violence au service de la loi

Les ambiguïtés de l’Etat

Mais que penser de la loi ?

Lexique

Jacky

Justice – Violence – Prison

De l’Antiquité jusqu’au XVIII siècle

Après le XVIII siècle

L’organisation pénitentiaire

Les ordonnances de 1945

Aujourd’hui

Henry

Violence et justice ou vengeance entre haine et loi ?

La vengeance d’abord.

Voyons à présent du côté de la loi.

Parlons justice !

« En guise » de conclusion (très provisoire !)

(Hors développement, voici 2 cas connus et précis pour creuser et illustrer ces derniers propos)

Cas d’Eichmann : l’opposition du légal et du moral

Cas d’Antigone : l’opposition du moral et du légal.

Jean-Claude

Violence, agressivité , rapports de force, non-violence

La violence

Plus ou moins de violence ?

Conflits

Rapports de force

Soumission & agressivité

Désobéissance civile

Non-violence

Sources

Frédéric

 

 

La violence peut-elle être légitime ?

Lorsqu’un criminel est arrêté, on le jette en prison; car priver un citoyen de liberté est illégitime, mais priver de liberté un citoyen qui a privé un citoyen de liberté, est légitime. Les lois interdisent toute forme de violence, mais y recourent parfois pour se faire obéir. Cependant, seul l’Etat a le droit d’y recourir : il possède, selon le mot de Weber, «le monopole de la violence légitime». Mais, de quel droit ?  

La violence au fondement de la loi

La loi n’est-elle pas une manifestation de la force ? S’introduisant dans une société, elle la contraint à se modifier. On ne légifère que pour que ces lois soient obéies, et parce qu’elles ne l’étaient pas.

Plus encore, la loi n’est rien sans la force : à quoi servirait une loi que chacun braverait impunément ? La violence qui s’exerce à l’égard de celui qui enfreint la loi est le véritable motif d’obéissance à la loi, et ceux qui y désobéissent espèrent toujours y échapper.

Dans ces conditions, chacun reconnaît non seulement la nécessité d’obéir, mais aussi la légitimité d’un tel recours à la violence contre le gré des mauvaises volontés.

Si la force est la condition de la loi, seul le fort peut faire la loi. S’il est seul, à faire la loi, la loi peut être arbitraire; mais il y a une loi. Une société où des lois règnent, est donc une société où la force règne, et c’est la nature des lois qui révèle l’identité du pouvoir. Il faut donc un pouvoir fort, s’il faut un ordre fixe.

La violence au service de la loi

Certes ce n’est pas la violence qui fonde l’autorité de la loi, mais bien plutôt l’autorité de la loi qui légitime la violence.

Il faut la force pour que je ne conspire pas contre le droit, mais il faut le droit pour que je conspire contre la force.

La légitimité est donc indépendante de la force, et toute violence n’est pas légitime. Il est un ordre du droit que la force doit servir, si elle veut être reconnue de tous pour n’être jamais renversée; la seule violence légitime est celle qui impose le droit.

Les ambiguïtés de l’Etat

Au nom de l’intérêt général, l’Etat peut faire violence aux intérêts particuliers.Mais où est l’intérêt général qui a droit de violence sur les intérêts particuliers, si les intérêts particuliers font violence à l’intérêt général ?

En effet, la confiscation de la raison d’Etatau profit de l’intérêt particulier est la formule de la tyrannie, régime violent par nature, où tous se plient à l’arbitraire d’une puissance qui ne se soucie pas de légitimité, mais en prend le masque : au nom d’un intérêt particulier prétendument intérêt général, on fait violence aux autres intérêts particuliers.

En définitive, la seule violence légitime est celle qui s’exerce contre les intérêts particuliers au nom d’une véritable raison d’Etat, ce qui demeure problématique ; comment savoir en effet si telles décisions de l’Etat sont tyranniques ou, au contraire, selon la formule de Rousseau, nous forcent d’être libres ?

Mais que penser de la loi ?

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste » disait Montesquieu reprenant Saint Augustin« une loi injuste, n’est pas une loi ».

Observons que la justice a deux sens : ce qui est légal, conforme au droit positif et ce qui assure l’égalité. Ce second sens fait de la justice une vertu et relève de la morale. Les deux acceptions sont pourtant liées, car il est juste que les hommes soient égaux devant la loi.

« La justice est ce que qui est établi et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu’elles sont établies » disait Pascal. Kant précise « que toute loi est juste si l’on suppose qu’un peuple ait pu y donner son assentiment ». C’est pourquoi, à priori, dans une république, les lois sont justes puisque émanant de la volonté du plus grand nombre.

Enfin jusqu’à quel point le principe de légalité doit prévaloir sur celui de justice ?...thème qui fut au cœur des débats lors du procès de Nuremberg.

Pourtant il arrive que des lois nous paraissent injustes ou injustement appliquées, lorsqu’elles ne respectent pas l’égalité, la dignité les droits de l’homme. Dans ce cas une désobéissance civile (inspirée par Henry David Thoreau en 1849) se manifeste : faut-il rappeler les postures de Gandhi, de Martin Luther King, ou les écrits de La Boétie qui soutenaient que « Quand la loi est injuste la désobéissance est un droit. »

Dans ce cas, si la désobéissance civile ne peut être un droit reconnu, on peut attendre d’elle, qu’elle soit également fertile et qu’elle nourrisse la vertu démocratique.

Lexique

Il est nécessaire de ne pas confondre violence et contrainte.

La violenceest l’exercice de la force à l’égard d’un individu, pour le contraindre   contre son gré. La violence se distingue de la force, dont elle est une espèce, en ce que cette dernière s’exerce aussi contre des êtres inanimés.

La contrainteest l’exercice de la force contre quelqu’un en vue de son bien et du bien général, qui peut aussi bien être souhaité par celui contre qui elle s’exerce (par exemple : la ceinture de sécurité)

Jacky

Justice – Violence – Prison

Il s’agit de présenter ici, de façon détaillée, mais non exhaustive, les liens qu’ont entretenus justice-violence-prison au cours du temps dans les pays de l’Europe occidentale, essentiellement la France et l’Angleterre.

De l’Antiquité jusqu’au XVIIIème siècle

En fait il convient de distinguer deux intervalles de temps de durée très inégales. Le premier envisage le triptyque justice-violence-prison depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIème siècle. Pour la France, on peut considérer que le changement est nettement perceptible dans les discours de la Convention durant l’épisode révolutionnaire.

Durant ce long premier intervalle, le châtiment est une atteinte portée directement au corps du prévenu. L’aspect punitif doit se manifester par une souffrance visible. On applique ainsi l’ostracisme, l’infamie, l’amputation, le marquage, la roue, le gibet, la décapitation. Longue serait la liste des peines infligées, le summum concernant celle appliquée au régicide pour lequel on peut les cumuler savamment. Ces peines sont toujours intégralement offertes à la vision intégrale du public, quel que soit son âge. En fait, plus le délit est grave plus la souffrance devait être longue, d’où la nécessité de ne pas faire trépasser le condamné rapidement.

Sous un aspect différent mais qui ne doit pas être minoré, le délit est considéré comme une atteinte au pouvoir souverain. Le supplice devient alors une affaire entre le roi et le condamné. La peine reste donc un scénario qui permet au pouvoir d’afficher sa toute puissance et sa main mise sur les individus. Cette puissance est de plus censée générer la peur des observateurs.

Après le XVIIIème siècle

A partir de la fin du XVIIIème siècle, le supplice prend une connotation négative. Cette nouvelle vision de la peine a été influencée par l’Humanisme et les Lumières. Pour donner un aperçu des idées qui circulaient au sein des milieux éclairés du XIIIème voici ce que disait Rush en 1787 « Je ne peux m’empêcher d’espérer que le temps n’est pas loin où les gibets, l’échafaud, le fouet, la roue seront dans l’histoire des supplices considérés comme les marques de la barbarie des siècles et comme les preuves de la faible influence de la raison et de la religion sur l’esprit humain ». D’autres raisons peuvent également expliquer ce changement de point de vue sur le supplice, comme le dit Foucault, en 1975, « On soupçonne le rite d’entretenir des parentés louches avec le crime, de l’égaler et d’accoutumer les spectateurs à la férocité et les juges à des meurtriers ».

L’organisation pénitentiaire

Sur ce constat de la vision désapprouvée de l’atteinte au corps, on va imaginer et généraliser la mise en œuvre d’une peine originale visant à supprimer ou restreindre la liberté. Matériellement on assiste à la mise en place de la prison ou du bagne avec leur architecture spécifique. C’est dans ces établissements que le système pénitentiaire se met en place. Ce dernier prend en charge l’exécution de la peine après que la justice ait délibéré. Dans ce fonctionnement, qui semble classique de nos jours, est en fait relativement nouveau pour le XVIIIème. La justice, une fois son verdict rendu, se désintéresse du sort du condamné, en complémentarité se met en place un système pénitentiaire ayant pour vocation de faire purger la peine mais également de ramener le condamné vers le droit chemin. Elle met en place toute une organisation pour atteindre ce but en s’appuyant notamment sur la morale, la religion, l’introspection, et la valorisation du travail. Vaste programme, surtout que la mise en place du système pénitentiaire se fait dans une forme d’opposition avec le juridique.

Dès sa mise en place l’organisation pénitentiaire montre pourtant des faiblesses et des défaillances. Rapidement, il est reproché à l’emprisonnement de ne pas être suffisamment dissuasif, le nombre de délits ne régressant pas pour autant. Les prisons elles-mêmes sont des lieux de délinquance favorisant l’éclosion et la fabrique de milieux spécifiques (bandes). S’ajoute à ce constat des effets parasites liés au suivi du détenu après sa peine, car les conditions faites aux personnes libérées les condamnent souvent à la récidive. Plus largement le système pénitentiaire fabrique indirectement des délinquants en faisant tomber dans la misère les familles des détenus.

Les ordonnances de 1945

Après-guerre, les ordonnances de 1945 tentent de redynamiser la relation justice-violence-prison. Face à une forme de faillite de système, il est réaffirmé la vocation de transformation du comportement de détenu, mieux devient obligatoire de lui proposer une éducation.  Concernant l’organisation interne de la détention, il est prévu de regrouper les détenus selon la gravité de leur délit en leur proposant une réinsertion sociale par le biais du travail qui devient une pièce essentielle du système. Enfin, lors de la sortie du détenu, l’administration pénitentiaire propose un appui par une prise en charge des individus.

Le système pénitentiaire réaffirme sa position face à la justice, en se donnant la possibilité de moduler la peine en fonction du comportement du détenu en cours de peine. Enfin la prison reste un lieu d’exercice de certains professionnels pour lesquels on demande certaines dispositions professionnelles et morales, que l’on peut atteindre par un recrutement et une formation adaptés.

Aujourd’hui

Ces directives sont aujourd’hui vieilles de 150 ans. Quel constat peut-on faire à leur égard dans un pays qui en 1981 a aboli la peine capitale ?

Très clairement, les effectifs de nos prisons sont pléthoriques, dans ces conditions la partition spatiale des détenus en fonction des délits commis ne peut plus être mise en place. L’éducation ne possède dans bien des cas un caractère d’obligation que pour les mineurs. Quant au travail, il reste souvent réduit pour ne concurrencer le monde extérieur

Faute d’avoir échoué dans sa vocation humaniste première, les prisons isolent plus qu’elles ne réinsèrent. Pour n’avoir pas su trouver d’autres alternatives à la prison, pour les petits délinquants, elle agrège entre ses murs des délinquants de toute envergure. Le monde carcéral se transforme en un microcosme avec ses règles et ses valeurs.

Au XVIIIème siècle, il avait été pensé une société dans laquelle la justice-violence-prison était un dispositif permettant à la communauté de prendre en charge ses membres déviants dans la perspective d’un retour au sein du groupe. Quel regard porter en 2021 sur une relation qui constitue pourtant un pilier fondamental de notre contrat social mais qui s’avère impuissante à s’opposer à l’insécurité de la rue, à la montée des radicalismes religieux ou non et à l’incivilité banale…

Le système judiciaire et pénal de cette République vertueuse, mais inflexible, qui avait été appelée de tous les vœux n’est-il pas à bout de souffle ?  

Henry

Violence et justice ou  vengeance entre haine et loi ?

La vengeance d’abord.

Elle est considérée comme une pulsion irrationnelle, en réaction à un dommage subi. Elle vise à faire subir à l'offenseur un dommage en réponse à celui qu'il a lui-même causé et qui a conduit la victime sur le chemin de la haine, ce sentiment personnel de détestation très forte à l'égard de quelqu'un.  Haine et vengeance sont évidemment intimement liées, la 1ère appelant la seconde jusqu’à des débordements, extrêmes parfois. D’ailleurs, « Haïr quelqu’un, c'est le tuer, sinon en réalité, du moins virtuellement, c’est le détruire en intention. » Si la haine paroxystique est réputée aveugle, la vengeance en est le bras armé qui imagine, planifie et organise le passage à l’acte.

Cette vengeance-réaction qui repose donc  sur ce sentiment violent, à l’état brut, qu’est la haine, serait de l'ordre de la nature et de l'instinct. Nous avons tous connu ce mouvement, souvent pour notre honte, et nous connaissons sa puissance : « il nous vient des forêts primitives » (Albert Camus)…

La Bible  a tenté de combattre ces affrontements réactifs et directs en codifiant des châtiments, donc en les acceptant comme des réponses légitimes en rapport avec le préjudice subi. Cette série de recommandations, qui sont comme des jurisprudences, a pris le nom de loi du Talion:« Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. »                                                                                            L’application du Talion, parce qu’il admet une réponse  au préjudice subi,  la précise et donc la légitime,  apparaît comme un progrès de civilisation sur la vengeance brute, c’est-à-dire sur la vengeance-réaction, vengeance spontanée et individuelle  qui, elle, dépend de la seule appréciation de la victime.

Voyons à présent du côté de la loi.

Aujourd’hui , ce que l’on appelle loi du Talion est considéré comme une carte blanche donnée à tout un chacun pour régler ses comptes lui-même. Le Talion se borne en effet à ratifier et à donner « force de loi »  à un pur mouvement de nature. Il est donc assimilé à la simple vengeance…ce que la morale sociale condamne fermement. De plus, vouloir réparer une offense en punissant soi-même son auteur provoque  un enchaînement de vengeances (on pense bien sûr aux vendettas)… La haine que l’on éprouve en tant que victime, est certes compréhensible et appelle donc bien notre instinct à la vengeance, mais la société souhaite que cette vengeance soit détournée de la sphère individuelle, soit  organisée et codifiée avec l’intercession d’un tiers légitime et légal : le juge chargé d’appliquer la loi. Avec cette intercession, la loi fait ainsi passer du domaine privé au domaine public la réponse à l’agression, empêchant ni plus ni moins que les individus se fassent justice eux-mêmes. ( à une exception près : la légitime défense.)

Nous avons donc  vu que le Talion était un progrès de civilisation sur la vengeance brute mais qu’il se bornait à ratifier et à donner force de loi à un pur mouvement de nature.

Nous venons de voir à présent que l’application de la loi avec intervention d’un système public dans les sociétés dites civilisées peut être considéré comme une 2ème étape de progrès de civilisation sur la vengeance-réaction : le système judiciaire et ses lois ne vise pas en effet à imiter ou reproduire la nature primitive. Il cherche même à la corriger avec le recours à un juge, comme tiers impartial et désintéressé.

Mais  l’application de la loi rend-elle la justice?

Parlons justice !

La nature ne connaît que des rapports de force et n’est que physique. Seul l’homme, être doté de raison, être mi-naturel mi-culturel, seul l’homme donc est capable d’argumenter, de raisonner, de peser le pour et le contre, et par conséquent d’avoir une idée de la justice.  Car le droit n’est pas une affaire naturelle mais rationnelle... La force seule ne saurait fonder le droit c’est pourquoi ériger la justice contre la nature serait une preuve d’humanité.

Voici maintenant la double définition que l’on donne de la justice : on dit d’elle qu’« elle est tantôt légale : c’est ainsi que l’on appelle la justice des lois ; c’est la justice-institution qui est chargée d’appliquer le droit, de faire respecter la loi et de réparer les torts subis par les victimes.  Et on parle aussi de justice morale ; la justice est alors considérée comme  un sentiment, une qualité morale, une vertu. Le concept de justice renvoie donc à deux types de réalité et a forcément une signification différente selon qu’il renvoie à la justice/institution ou à la justice/ valeur.

Lorsqu’un juge applique le droit, c’est-à-dire la loi, chacun est libre de trouver juste ou injuste telle décision rendue par le pouvoir judiciaire. En ce sens on parlera de lois justes ou injustes, de la justice ou de l’injustice de la décision du juge. Car nous avons parlé de ce tiers intervenant (le juge) comme légal et légitime. Nous vivons en effet dans une société qui défend un certain nombre de principes : les sociétés démocratiques considèrent qu'il est impossible de se faire justice soi-même, qu'une personne impliquée dans un problème peut difficilement être objective vis-à-vis de la situation qu'elle vit. Nos sociétés veulent aussi dépasser le rôle de punition dévolu à la loi  en posant notamment la question des circonstances de l’acte et en se réclamant par exemple des besoins de la réinsertion.  Voilà pourquoi il faut distinguer la légalité et la légitimité des décisions de justice, et voilà pourquoi pour agir avec justice il ne suffit pas d'appliquer mécaniquement la loi ce qui reviendrait à considérer que la justice s’accomplit dans la seule punition. Pour simplifier, nous dirons que la rigueur de la légalité  vise à faciliter le consentement du corps social en donnant une règle commune à tous  (sinon c’est l’anarchie) et que la légitimité, qui aménage ou corrige les automatismes de la loi, rajoute à ce consentement en introduisant une dose d’explication destinée à dépasser et même sublimer le mouvement de vengeance. Cela d’ailleurs ne fait pas toujours l’affaire des parties adverses qui mesurent différemment le poids du  légal et du moral dans le rendu des décisions. La  haine qui appelle à la vengeance, risque alors dans certains cas de se trouver exacerbée par le sentiment d’injustice. Et dans la sphère publique, si la tentation d’imposer la loi par la force tente les gouvernants, ils doivent se souvenir de la formule  de Rousseau, dans Du contrat social :  « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. »

« En guise » de conclusion (très provisoire !)

L’honneur des humains est d’avoir mis la vengeance hors la loi parce qu’elle ne fait que perpétuer la haine. L’honneur des humains c’est aussi de tenir compte d’autres principes moraux, également indispensables, dans l’application des lois.  Mais…

  • soit les lois contiennent en elles ces principes moraux,  et  fondent la justice dans son sens le plus complet (institution et valeur) 

  • soit la justice est rendue par des lois indépendantes de ces principes, par un État qui assassine, vole, enlève, séquestre et dépouille « légalement » en notre nom. 

S’il y a bien un devoir d’obéissance aux lois, dans ce 2ème cas ce devoir s’écroule dès lors qu’une loi n’est plus perçue comme légitime parce qu’imposée par un Etat non vertueux. Nous avons tous alors la tentation et sans doute le devoir d’obéir à notre sentiment intérieur de justice avec le risque

  • pour certains de réactiver la vengeance pour une affaire privée. Dans le cadre d’une justice rendue sans légitimité reconnue, la vengeance « hors la loi » et personnelle, risque alors d’apparaître comme la forme la plus sûre de la justice… ! Un retour en arrière… 

  • ou pour d’autres, sollicités par un combat plus «global et  politique »,  d’en arriver à  la désobéissance civile et au droit de résistance pour s’opposer à ce qui ne serait plus perçu comme la justice mais comme une violence d’État. La désobéissance civile fait dans ce cas appel à des principes supérieurs à l’acte contesté, le résultat escompté étant a minima une révision voire un retrait de la loi en cours ou de la décision prise. 

(Hors développement, voici 2 cas connus et précis pour creuser et illustrer ces derniers propos)

Cas d’Eichmann : l’opposition  du légal et du moral

(Responsable 3ième Reich des « affaires juives » et de la solution finale. Cf la banalité du mal de Hannah Arendt )                                                                                                                                                             A séparer le légal du légitime, on risque de justifier toute action, même la plus injuste. Hannah Arendt met bien cela en évidence dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem : ce dernier a fait massacrer, sous le Troisième Reich, des milliers de Juifs, il a commandité leur mort, mais selon ses propres mots au tribunal, il n’a rien fait de mal puisqu’il s’est contenté d’obéir aux lois du Troisième Reich. L’argument  du légalisme, du respect des lois, est dans ce cas bien sûr un alibi. Selon la loi morale, la “seule” chose qu’il a faite de mal, qui a conduit au génocide de milliers de personnes et à un crime contre l’humanité, ça a été précisément de ne pas désobéir à la loi, de n’avoir aucune notion de ce qu’il est légitime de faire ou non, malgré ce que le légal lui dit de faire. 

Cas d’Antigone : l’opposition du moral et du légal.

Thèbes est dirigé(e) par l’oncle d’Antigone, Créon.  La loi de la cité impose qu’un criminel envers la patrie n’ait pas de sépulture à sa mort ; les deux frères d’Antigone (Etéocle et Polynice, donc eux aussi neveux de Créon) s’entretuent. Etéocle a droit à sépulture mais Polynice, considéré par Créon comme criminel envers la patrie, n’a pas droit, lui, à sépulture ; Antigone refuse d’obéir aux lois et enterre son frère Polynice ; elle est punie pour désobéissance aux lois, et voici ce qu’elle dira à son oncle : « J’ai désobéi à la loi car ce n’était pas la justice et je ne pensais pas que tes décrets à toi fussent assez puissants pour permettre à un mortel de passer outre d’autres lois, des lois non écrites, inébranlables, qui ne datent pas d’aujourd’hui, ni d’hier, et dont on ne sait le jour où elles ont paru » Antigone oppose ainsi aux lois faites par les hommes, des lois qui s’imposent à nous si l’on sait écouter la voix de notre conscience.  C’est l’opposition ici du légal et du moral, de la justice institutionnelle et de la justice morale.

Jean-Claude

Violence, agressivité , rapports de force, non-violence

La violence peut prendre de multiples formes : non satisfaction des besoins fondamentaux ; précarisation ; violences au sein des familles, de l’école, des quartiers, des entreprises ; guerres, violences économiques, atteintes à l’environnement…

Face à cette violence et sans jamais cautionner des choix d’actions violentes, on peut comprendre pourquoi certains groupes réagissent à ces injustices par la violence.

La violence

La violence met en œuvre des moyens qui font peser sur l’autre une menace de destruction, de mort, un désir d’éliminer l’adversaire, de l’exclure, de le réduire au silence.

Toute violence est brutalité, offense, destruction. Elle s’exerce contre l’humain, c’est toujours un viol : viol de son identité, de sa personnalité, de son corps, de son humanité.

La violence c’est ce qui blesse et meurtrit l’humanité de celui qui la subit.

« La visée de la violence, c’est la mort de l’autre, au moins sa mort ou quelque chose de pire que sa mort. » (Paul Ricoeur)

L’idéologie de la violence permet à chacun de justifier sa propre violence sans limite ni fin.

« Œil pour œil et le monde finira aveugle. » (Gandhi)

Plus ou moins de violence ?

La société est-elle plus violente qu’avant ?

Il y a plus de guerres aujourd’hui à l’échelle de la planète (conflits armés, guerres civiles, Yémen, Mali, terrorisme, etc) pourtant à l’échelle de l’histoire, elle connaît un déclin évident. La guerre était un régime normal des sociétés jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Or, quand on mesure depuis la Deuxième Guerre mondiale, le nombre de personnes qui meurent pour fait de guerre dans le monde, il ne cesse de diminuer.

Concernant la violence étatique, jusqu’au XXème siècle les régimes pouvaient enfermer, tuer, museler leurs populations avec une brutalité extrême (Cambodge, Chine, Russie, beaucoup de pays dictatoriaux, etc). Si aujourd’hui, il y a encore de la répression policière, elle est sans commune mesure avec ce qu’elle a été.

Pour les homicides en France c’est 800 à 900 personnes qui meurent d’homicide depuis le début des années 2010. Au début des années 1990 c’était deux fois plus, dans les années 1960, c’était quatre fois plus, si on remonte encore dans le passé, au XVIIIème siècle, c’était vingt fois plus.

Pour les féminicides on en a jamais autant parlé et condamné. Pour autant on mesure mal quelle est la part d’augmentation de celle de la sensibilité plus forte qui en fait quelque chose d’intolérable alors que c’était caché, voire un « non-évènement » il y a un demi-siècle.

Autre phénomène difficilement mesurable est la violence verbale. Par exemple on sait qu’il y en a en moyenne un harcèlement scolaire par classe pratiquement, mais on n’a pas d'indicateur permettant de savoir s’il y en avait moins ou plus il y a cinquante ans. Par contre, comme pour beaucoup de violences il est plus visible, entre autres par les réseaux sociaux.

Certaines violences sont aussi paradoxalement en diminution et en augmentation. Par exemple l’antisémitisme n’a jamais été aussi élevé parce que dans les années 1930 mais les chiffres donnent une augmentation récente de certains actes antisémites. Pour l’homophobie, c’est l’inverse. La société est devenue beaucoup plus tolérante à l’égard des homosexuels, les agressions homophobes ont sans doute diminué en nombre.

Mais malgré tous ces chiffres qui tendent à montrer que la violence semble diminuer au niveau global on a le sentiment de vivre dans un monde à feu et à sang. Certainement parce que les médias en parlent beaucoup car les actes violents font plus vendre que les informations positives. Du coup les politiques instrumentalisent souvent ce sentiment de violence.

Conflits

Le quotidien se pacifie-t-il pour autant ? En dehors du fait que les situations sont très différentes suivant les classes, les lieux, les pays, peut-on réellement vivre sans conflits ?

L’humain est un être de relation, mais nous expérimentons souvent cette relation comme un affrontement : l’autre serait celui dont les désirs s’opposent aux miens.

La fonction du conflit est alors d’établir un pacte entre les adversaires qui, normalement, satisfasse les droits respectifs de chacun. La paix ne serait pas l’absence de conflits mais la résolution de ces conflits par d’autres moyens que ceux de la violence.

C’est pourquoi l’organisation de la société repose sur la justice. (L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » Jean-Jacques Rousseau).

Rapports de force

Les rapports de force sont une manière de faire pression sur l’oppresseur lorsqu’on vit une injustice. Mais au contraire de la violence, la force recherche un moyen de contraindre qui, tout en respectant les personnes, visent à faire évoluer les rapports de forces pour offrir de plus grandes chances à la justice et à la fraternité.

Soumission & agressivité

Mais la force des injustices dans une société vient de ce qu’elles bénéficient souvent de la coopération de la majorité des membres de cette société. L’obéissance des citoyens a toujours été la force des totalitarismes.

« Pire que le bruit des bottes, le silence des pantoufles » ( Max Frisch)

C’est la peur qui, le plus souvent, a un effet narcotique face aux injustices subies. La peur conseille soit la soumission, soit la fuite, soit la violence in fine. Car arrive un moment où il n’y a plus rien à perdre, la peur n’évite pas le danger et alors se réveille la violence des groupes qui subissent.

C’est pourquoi, lors d’actions non-violentes, les premières démarches sont de réveiller l’agressivité du groupe qui est soumis. L’agressivité est une puissance de combativité, d’affirmation de soi. Être agressif c’est s’affirmer devant l’autre en marchant vers lui (du latin « ad-gradi » : marcher vers), c’est accepter le conflit, pour le résoudre. L’agressivité est ce qui permet de surmonter sa peur.

L’action collective non-violente n’a pas pour but de prendre le pouvoir par et/ou pour le peuple, mais l’exercice du pouvoir par le peuple. Ce principe conduit à des actions de rupture avec « l’(e dés) ordre établi » pouvant aller jusqu’à la désobéissance civile, lorsque toutes les possibilités offertes par la loi ont été épuisées en vain.

Désobéissance civile

La fonction de la loi est d’organiser la société en sorte que la justice soit respectée par tous. La loi doit donc surtout défendre les droits des plus faibles et des plus pauvres contre les privilèges et les pouvoirs des riches et des puissants.

Si la loi défend les intérêts des riches et des puissants (et le risque est toujours présent car ce sont souvent eux qui participent à bâtir les lois) il peut sembler légitime (mais non légal) de désobéir à la loi car ce qui fait l’injustice n’est pas la loi injuste mais l’obéissance à la loi injuste.

« Il faut beaucoup d’indisciplinés pour faire un peuple libre » (Bernanos)

« La vraie démocratie ne viendra pas de la prise du pouvoir par quelque-uns mais du pouvoir que tous auront de s’opposer aux abus d’autorité » (Gandhi)

« Les peuples n’ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur. » (Stendhal)

Mais l’action non-violente exige un accord profond entre les moyens utilisés et la fin poursuivie. Elle n’est pas une vengeance, mais vise une réconciliation. Elle refuse toute parole ou tout acte qui enfermerait l’adversaire dans sa propre violence et lui offrirait un prétexte pour la justifier.

« Les moyens peuvent être comparés à une graine et la fin à un arbre ; et il existe le même rapport intangible entre les moyens et la fin qu'entre la graine et l'arbre. » (Gandhi)

Non-violence

La non-violence nous invite à refuser les logiques d’exclusion et à résister à la montée des extrémismes. La liberté, l’égalité et la fraternité, pour être réellement vécues en société, exigent à la fois une évolution des structures et des fonctionnements collectifs, et une transformation des mentalités et des comportements. Dans cette perspective, il est important de développer la régulation non-violente des conflits : prise en compte des émotions, écoute empathique des points de vue, communication non-violente (CNV), argumentation rationnelle, contractualisation d’accords, définition claire des fonctions de chacun, observation des règles et sens de la responsabilité.

La non-violence s’apprend. Une éducation non-violente conjugue empathie et apprentissage des responsabilités envers soi, envers l’autre, et envers le cadre commun que l’on s’est donné. Cette éducation promeut l’obéissance critique aux autorités légitimes et non la soumission aux ordres arbitraires. Elle apprend à résister aux manipulations.

Loin d’un pacifisme utopique, la démarche non-violente implique une attention à la dimension politique des événements. Elle exige une information permanente, une analyse politique et économique rigoureuse, un projet politique, l’élaboration et la mise en œuvre de méthodes d’action spécifiques.

Sources

  • Comprendre la non-violence, Jean-Marie Muller, Jacques Semelin, Non-Violence actualité (1995) 

  • La non-violence, Christian Mellon et Jacques Semelin, Presses universitaires de France (1994) 

  • La désobéissance civile, Henry-David thoreau, Utovie, 1993 

  • Discours de la servitude volontaire, La Boetie, Mille et une nuits, 2002 

  • Lexique de la non-violence, Jean-Marie Muller, IRNC, 1988 

  • Manifeste du MAN (Mouvement pour une action non-violente), Serge Perrin, 2016 

  • Le monde est-il vraiment de plus en plus violent ? Jean-François Dortier, sociologue et fondateur et directeur de la publication du magazine Sciences humaines, émission de France Culture 

Frédéric