L'Histoire de France subit des déclinaisons variées, plus ou moins subtiles, où conflue quantité d'éléments et d’événements dont le choix d'assemblage dépasse souvent l'historien et même le politique quand il s'agit de passer du Récit National au Roman National. Nassima, Frédéric, Henry et Jacky lèvent le voile sur quelques éléments constitutifs de "l'épopée Française." :
Lorsqu’on prononce le mot Histoire, de quoi parle-t-on ? La langue française appelle « histoire » indifféremment le livre d’histoire, les évènements des siècles passés, ou encore les œuvres de fiction, romans, contes ou scénarios.
L’histoire, entendue comme l’ensemble des faits du passé, se distingue de l’activité de l’historien qui rapporte ces faits. Pour ne pas les confondre, il faut appeler historiographie la discipline de l’historien, et réserver le nom d’histoire aux évènements relatés par l’historiographie.
Apparaît alors un problème : peut-on véritablement faire confiance à l’historiographie pour raconter l’histoire ? L’historien n’est-il pas comme un romancier ? Le livre d’histoire est-il véridique ou bien nous raconte-t-il seulement de belles histoires ?
Des préjugés idéologiques ou politiques peuvent faire obstacle à l’objectivité de l’historien. Pour lever cette difficulté on répond souvent qu’il devrait seulement énumérer les faits. Mais cette confiance, répond le philosophe, dans « le fait brut », propre à l’école positiviste, peut aussi être trompeuse : lorsqu’on choisit de rapporter un fait, on lui attribue un rôle historique. En se limitant aux « faits bruts » de l’histoire politique, on porte encore un jugement, on instaure une hiérarchie.
C’est le reproche que fait l’Ecole des Annales- qui apparaît au XX°siècle, dans les années trente-, aux positivistes. La vérité en historiographie semble se heurter à de sérieux obstacles : l’historien risque de prendre son point de vue pour la réalité ; et une histoire totale (comme le Roman National, expression popularisée par P.Nora) paraît au-dessus des forces de l’individu. L’histoire est-elle alors nécessairement trahie par l’historiographie ?
L’historien n’est pas un romancier : l’affabulation lui est défendue. Il est pourtant lui aussi narrateur. Au fil de ses ouvrages, il raconte le passé : mais le style qu’il choisit n’est pas un simple ornement. Il correspond bien souvent à sa vision du temps et à sa conception de l’histoire.
C’est ainsi que l’on peut trouver :
Dans ses « Histoires » l’historien grec Hérodote attribue constamment l’issue des évènements à l’influence secrète du destin. Comme une puissance cachée et inaccessible mène les hommes, la narration historique se contente de dépeindre de façon rapide et décousue, une succession de péripéties imprévisibles.
Thiers, dans son « Histoire du Consulat » de l’Empire », attribue la tournure des évènements à la volonté d’un grand homme. Il compose un récit semblable au roman traditionnel : le temps est segmenté en épisodes et les soubresauts qui révèlent le tempérament de Napoléon, rythment la narration.
On peut aussi élargir le faisceau des causes explicatives. Les aspirations d’un peuple ou les idées d’une époque se voient alors dotées d’une grande influence : comme Tocqueville par exemple dans « l’Ancien régime et la Révolution ». Rivée à l’évènement, l’histoire a parfois le souffle un peu court.
S’emparer du sens, tapi au fond du passé, voilà ce que veut l’historien : il est plus chasseur - dans le sens où il traque patiemment tout en sachant que sa proie peut lui échapper – qu’artisan – au contraire, celui qui serait maître de l’objet qu’il produit.
Mais qui peut nous assurer que lassé de poursuivre une proie invisible, il ne fabrique pas en secret un simulacre de sens ?
L’histoire n’est pourtant pas uniquement façonnée par les hommes. Certes les évènements s’imposent à nous, mais au sein même de l’histoire ne pouvons-nous pas choisir telle ou telle direction ?
Les deux termes de l’expression indiquent pour le premier que la discipline s’est constituée en s’émancipant de la littérature, fasse rêver avec toutefois un impératif de crédibilité, et pour le second, qu’il y a un rejet de la primauté du cadre.
Le mot sens a deux significations : c’est une direction, un but, ou peut désigner une signification et on peut imaginer qu’elle pourrait être une suite d’évènements absurdes séparés dans le temps.
L’Histoire n’a pas d’existence en soi : elle est une invention, et le premier qui l’ait inventée est le grand littérateur Michelet suivi par les personnages politiques. Et comme elle est inventée, il y a plusieurs récits possibles…et aucun ne s’impose vraiment ! ( l’Histoire entre récit, roman et repentance ?)
Il en est un qui me paraît séduisant, parce qu’il met en lumière des postures et le déroulement de certains évènements. La France a longtemps été conçue comme l’ensemble des territoires français et comme la narration des moyens militaires qui ont permis d’organiser ces territoires.
Mais en fait il y a eu deux récits concurrents : le premier serait l’Histoire providentielle et l’autre le récit Républicain. Le premier commence toujours avec Clovis, et la mise en scène d’une monarchie telle qu’elle a inventé un récit, avec un Clovis premier Roi de France. Ensuite l’histoire se déroule jusqu’au désastre de Janvier 1793. Plus tard on ne retrouvera cette Histoire providentielle que par accroc.
L’autre récit prend sa source avec Vercingétorix, et sa date fondatrice étonnamment est donc une défaite (mais tout revers a sa médaille disait A.Frossard et le revers d’Alésia devient une date glorieuse.)
Mais pourquoi commencer une histoire avec une défaite ? En fait, les Francs de Clovis étaient représentés comme les ancêtres de tous les nobles. La noblesse devait descendre des vainqueurs…et donc les vaincus de Vercingétorix, ne pouvaient être que le peuple. Il s’en suit une histoire qui nous amène au Tiers Etat. Vercingétorix préfigure le Tiers Etat. Bien sûr cette histoire est imaginaire, mais c’est ainsi que l’on reconstruit une histoire qui amène en 1789 et à la revanche du Tiers Etat sur les nobles. Cette lecture de l’histoire n’est pas seulement Républicaine mais deviendra sociale : « Fais entrer dans la cité ceux qui campaient à sa porte », disait Blum. Le discours d’investiture de F.Mitterrand déploie ce sens de l’histoire en 1981.
Ces deux récits qui sont opposés, n’ont cessé de dialoguer l’un avec l’autre et de se combattre. Tous les deux sont téléologiques c’est-à-dire avec une fin annoncée : le récit providentiel va vers les fins dernières, le jugement dernier, vers la fin des temps, le salut., alors que l’histoire républicaine va vers le bonheur pour tous, promis.
Pendant très longtemps les politiques ont utilisé ces récits pour donner sens à leurs programmes. Si De Gaulle et Mitterrand prolongent une histoire, V.G d’Estaing y tourne le dos en déclarant, ouvrir une page blanche. Faut-il y voir la marque d’une prétention extravagante d’un personnage qui commencerait l’Histoire ? Enfin le « général » en se référant aux deux traditions fera la synthèse des deux récits.
La société ayant changé, les récits ne semblent plus adaptés, présentant des symptômes d’épuisement. Dans le récit national on note l’absence d’une partie de ceux qui habitent en France : le pluralisme de la société n’est pas pris en compte. On pourrait penser que le roman national n’est plus d’actualité, n’aurait pas de sens…et pourtant ! Sans référence particulière, n’avons-nous pas vu se dresser des drapeaux tricolores ou entendu chanter la Marseillaise lors des derniers évènements ? Toutefois, notons, que lors des cérémonies (des Invalides…) il n’y avait pas trace de religieux.
Une crise d’identité sourd dans la société, à propos d’une Histoire dont on ne sait plus ce qu’il faut retenir pour les temps présents. D’autant que l’articulation avec l’Europe n’a pas eu lieu et ce déficit d’histoire Européenne pèse sur la crise identitaire.
Si d’autres récits pourraient être imaginés (selon les migrations intérieures, les mouvements migratoires, l’histoire de la langue avec la colonisation et la décolonisation, les rapports de la France et de l’Islam, la fin du monde paysan…) il est admis de tous, que l’être humain a un besoin pressant de construire une société, de créer une communauté imaginée et ce, quel que soit le récit proposé. Peut-être faut-il accepter que le récit national ne soit pas une ligne continue, mais plutôt un archipel d’îles qui ne vont pas forcément vers une fin obligée, que tout récit historique est construction, mais pour autant, que cet arrangement n’est pas fiction, et que les personnes dirigeantes affichent clairement les directions à emprunter pour une meilleure articulation avec le passé.
Cette courte présentation vise à répondre brièvement, donc forcément imparfaitement, aux problématiques suivantes :
Souvent baptisé de « roman national », ce type de production littéraire correspond plutôt à un mythe, voire même une légende. En fait, le terme de "roman" renvoie étymologiquement à une production littéraire codifiée dont les caractéristiques intrinsèques ne correspondent pas à notre récit national. Compte tenu de cette objection, nous garderons l’appellation de "récit national".
Il serait trop ambitieux de retracer l’intégralité du long continuum de la construction de notre récit national. Il faut reconnaître que les motivations profondes et les stratégies des différents acteurs pour donner aux Français le sentiment d’appartenance à une même nation sont variées. Elles englobent des formes aussi diverses que les biographies royales ou les mythes des origines. Elles partagent en commun un objectif fondamental qui était celui de trouver des justifications à l’unité nationale et de créer ou conforter un sentiment patriotique.
Pour cette présentation nous nous centrerons sur la construction du récit national tel qu’on peut l’appréhender durant les XIXème et XXème siècles. En France, il s’agissait au travers de l’Histoire, de faire éclore une légende de la République, vue et conçue par les historiens philosophes de cette époque.
Elle s’appuie d’abord sur un genre d’écriture de l’Histoire dont Jules Michelet est très représentatif. Son "Histoire de la Révolution française", est une œuvre monumentale en 7 volumes. Son genre se rattache à l’école littéraire de l’historicisme qui prône que les valeurs d’une société humaine sont directement issues de son passé historique. Publiée entre 1847 et 1853, dans des moments où la France oscille entre monarchie, république et empire, cette production replace l’épisode révolutionnaire dans le cursus chronologique et donne à la France personnifiée un rôle allégorique. Le style y est quelquefois emphatique avec de belles envolées. La vérité historique, dans toute sa complexité, y est souvent esquivée au profit d’arguments patriotiques et nationaux.
Cependant cette vision de notre Histoire nationale n’aurait pu avoir un tel impact s’il n’avait existé dans ce contexte un puissant vecteur de transmission qui fut celui de l’Ecole devenue laïque, gratuite et obligatoire.
Sous la IIIème République naissante, les lois Ferry (1881-1882) vont fournir un cadre juridique essentiel pour ancrer dans le plus grand nombre de jeunes têtes d’écoliers les idées d’une France éternelle et bonne mère. Il appartiendra à Ernest Lavisse de produire les manuels scolaires d’enseignement de cette historie nationale. Ils balaient toute la scolarité de l’élève de l’école primaire au lycée. Ces "manuels Lavisse", comme on disait alors, n’ont guère de concurrence. On y reprend la philosophie de Michelet dans laquelle la France personnifiée est grande, issue d’un passé inscrit dans ses gènes qui lui promettait un avenir glorieux. Elle protège dans ces conditions ses enfants qui par leur patriotisme peuvent aller jusqu’au don de leur personne. Dans ces manuels scolaires, on apprend entre autres que les Gaulois sont les ancêtres directs des Français, que les rois sont bons dans la mesure où ils expansent leur domaine et donc la future France. Les épisodes sombres trouvent leurs justifications dans la mesure où ils sont des maux nécessaires : la Saint Barthélémy, la Terreur montagnarde par exemple…).
D’un autre côté, des figures emblématiques génèrent chez l’élève un processus d’identification à valeur de modèle : Vercingétorix, le tambour Bara, le connétable Bayard….
Ainsi s’est construit un récit historique, véhiculé par les "hussards noirs de la IIIème République" porteur d’une exemplarité comportementale à qui certains attribuent l’hécatombe en vies humaines de la Première Guerre Mondiale.
Depuis les années 80, la vision de notre histoire nationale a-t-elle évolué ?
En 1989, le bicentenaire de la Révolution française a été le moment d’une véritable catharsis. Ce fut l’occasion de jeter un regard moins partisan sur cet épisode historique qui avait été magnifié en son temps par Michelet et présenté comme mythe fondateur de la France. Furent dans ces conditions reconsidérées : l’action du Comité de Salut Public, la Guerre de Vendée, la décapitation de Louis XVI….
Cette introspection sur notre propre histoire nationale permit de reconsidérer plus largement d’autres épisodes : les Croisades, la Guerre d’Algérie, les guerres d’expansion et donc de spoliation : François Ier ou Napoléon….
Cette nouvelle vision portée sur notre Histoire ne se veut donc plus un récit mais un regard propre aux sciences sociales. Elle analyse suivant une démarche hypothético-déductive des documents émanant de l’Histoire (archives, objets, monuments) qui sont parvenus du passé. Elle les décrypte et les interprète suivant le filtre de l’historien prenant en compte son histoire personnelle et le contexte de son étude.
Plus ou moins débarrassée de son statut de modèle vivant, l’Histoire que l’on propose aux publics, tant scolaires qu’adultes, a abandonné la vision d’une France se construisant suivant un continuum qui n’a existé que dans l’esprit de penseurs politiques dans le but de conforter un sentiment national. Au moment où les nations se scindent et se recomposent suivant les contextes (Tchécoslovaquie, Yougoslavie, voire l’Europe), il est certainement plus sage de s’orienter vers une histoire des peuples, plus que vers un récit national. On bonifierait ainsi le brassage culturel de la multitude des groupes humains qui coexistent et ont coexisté à travers l’espace-temps sur un territoire aux limites fluctuantes. Il est facile au préhistorien, que je suis, de trouver un argumentaire à cet état des lieux.
Selon le sociologue Michel Wieviorka (directeur du Centre d’analyse et d’intervention sociologique, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), la question peut paraître saugrenue dans des pays où le récit national accorde une importance considérable et positive aux vagues successives de migrants qui ont la fait la Nation. Aux Etats-Unis, par exemple, la statue de la Liberté et le musée d’Ellis Island, à l’entrée du port de New York, viennent baliser un passé légitime et fortement reconnu, celui des Européens débarquant de leurs paquebots pour construire l’Amérique. Rappelons toutefois que cela n’a pas empêché les discriminations dont sont encore victimes les populations noires et indiennes.
En France, malgré les vives résistances pour inclure l’immigration dans le récit national, il n’est pas impossible d’en faire un élément de l’histoire nationale. Cela implique une rupture, un déchirement par rapport aux démarches les plus conservatrices et d’accepter de porter un autre regard sur la construction de l’identité nationale marquée par plus d’un siècle d’immigration. Ce qui est spécifique au cas français, c’est que l’immigration n’est pas perçue comme un processus historique mais d’avantage comme un problème social. Elle est assimilée au chômage, la délinquance des jeunes, les banlieues à problèmes, de trafics de tous genres, etc. Dans ce contexte, la question sociale constitue un frein spécifique qui empêche de positiver cette histoire et donc de considérer l’immigration comme une richesse et un patrimoine. La question sociale ne laisse pas de place à l’histoire et agit sur le mode de la disqualification. Il en est de même pour les peurs qui hantent la société, celle du déclassement et celle de perdre son identité. Si ces peurs sont réelles, « elles découlent bien plus des bouleversements dus à la mondialisation qu’à un quelconque dessein de telle ou telle communauté » comme le décrivent l’écrivain Carl Aderhold et la réalisatrice Françoise Davisse.
Les musées dédiés à l’histoire ont pour fonction de montrer la richesse et la diversité du patrimoine national, matériel, symbolique, culturel, fruit d’un passé considérer comme glorieux dans lequel l’immigration n’a pas de place spécifique. Certains pensent pouvoir relever le défi de lui consacrer un espace spécifiquement national. Y parviendront-ils ? Pour le sociologue et historien Benjamin Stora, le musée national de l’histoire de l’immigration (Palais de la Porte-Dorée à Paris) qui « rassemble, sauvegarde, met en valeur et rend accessible les éléments relatifs à l’histoire de l’immigration en France s’est lancé un double défi : le premier est de faire admettre comme patrimoine commun l’histoire de l’immigration ; le second est d’inventer une muséologie participative qui privilégie le croisement des regards et des histoires individuelles pour nourrir un récit national commun ».
Par expérience professionnelle j’ai fait le lien entre « récit national » et mythe familial.
Nous pouvons voir que l’histoire, de l’humain comme celle des familles, a toujours été assortie de constructions mythiques.
Ces mythes sont souvent « fondateurs », racontant d’une manière romancée l’origine du système (nation, famille, peuple…).
Voici ce qu’en dit le psychiatre Neuburger : « Une famille est : une unité fonctionnelle donnant confort et hygiène ; un lieu de communication, matrice relationnelle pour l’individu ; un lieu de stabilité, de pérennité, malgré ou grâce aux changements que le groupe peu opérer ; un lieu de construction de l’identité individuelle et de transmission transgénérationnelle : la filiation. L’ensemble est structuré, unifié par un ciment qui donne son identité au groupe, le différencie du monde extérieur, crée une différence. Ce ciment est le mythe familial : c’est la croyance montrée en des caractéristiques, des spécificités du groupe. »
Historiquement le mythe donne un sens à ce qui apparemment n’en a pas ou n’est pas encore explicable (éléments naturels, vie, mort…). Il permet à l’humain de surmonter l’anxiété de l’inconnu, du complexe sans réponse précise et rend vivable ce qui ne paraît pas acceptable (comme le mythe du Paradis ou de la réincarnation rend admissible la mort).
Le poète et écrivain Michel Butor déclare : « Le mythe est un récit dont les éléments ne coïncident pas avec la réalité intégrale, mais qui, imaginaire, reproduit, par voie de tradition orale ou écrite, une tentative d’expliquer une difficulté d’ordre moral ou métaphysique. Il comble une lacune dans l’explication que l’homme se donne aux choses de la vie. Il motive un mystère. »
Cette reconstruction romancée et intelligible de la réalité permet à l’humain de donner un sens à sa vie malgré son sentiment de fragilité et d’impuissance.
Georges Heymann, professeur de philosophie indique que «La démarche initiale — et essentielle — de toute pensée n'est pas intellectuelle mais existentielle, c'est-à-dire qu'elle ne vise pas à édifier des constructions spéculatives abstraites, mais à fonder la possibilité de vivre, de vivre d'une façon humaine, en assumant l'échec, la souffrance, la vieillesse, la mort et, d'une façon générale, toutes les contradictions qui déchirent notre existence. Il ne s'agit donc pas d'expliquer le monde et la vie, mais de les justifier, de leur donner un sens, de les rendre tolérables. C'est ce que réalise le mythe, première forme de l'idéal.»
Les mythes sont donc nécessaires aux humains pour leur permettre d’expliquer par une fiction ce qu’il ne comprend ou ne connaît pas. Le remettre en cause c’est risquer de revenir aux sources des angoisses : l’inconnu, alors il devient vite indiscutable. De fondateur il en devient fondamentaliste. Ce faisant il empêche au système de progresser en accueillant d’autres et nouvelles informations, le condamnant à disparaître (l’entropie d’un système ne pouvant être contrebalancée que par ses échanges entre autres avec l’extérieur).
Si les mythes, en organisant la pensée et les croyances et leurs transmissions, permettent la pérennité d’un système, le psychiatre et systémicien Luigi Onnis nous dit qu’ils ont un rôle primordial dans l’unification familiale en procurant un sentiment d’appartenance.
Le mythe familial a donc une fonction homéostatique. Et dans les conflits et écueils la famille sait pouvoir s’appuyer dessus. Pour A.J. Ferreira, le mythe familial est : « une croyance ou un groupe de croyances que la famille partage malgré des falsifications flagrantes et qu’elle utilise, en général, en faveur de l’homéostasie, un certain nombre de croyances bien systématisées, partagées par tous les membres de la famille, au sujet de leurs rôles respectifs dans la famille et de la nature de leurs relations ». Ainsi pour lui le mythe familial, de croyance stabilisante devient une vérité absolue qui structure pathologiquement la famille et va de fait lui interdire toute adaptation et évolution face à la réalité et aux événements extérieurs. Comme le dit encore Luigi Onnis : « si le sentiment d’appartenance et d’identité est poussé à l’extrême et si l’individu, pour ne pas courir le risque d’être rejeté du système ou de provoquer sa fragmentation, doit renoncer à sa pleine réalisation ; si la famille, congelée dans ses croyances, doit stopper sa croissance en bloquant les potentialités évolutives de ses membres, nous nous trouvons face à une fonction pathologique. »
Le mythe est en général accepté de façon tout à fait inconsciente et il apparaît « grâce » au déviant qui le transgresse. Paradoxalement, aussi bien dans l’histoire des sociétés qu’en thérapie familiale ce sont pendant les crises que les mythes communs vont se rigidifier mais en même temps ces crises vont questionner la pertinence des mythes du système et éventuellement leur permettre d’évoluer.
À un niveau sociétal comme à un niveau familial, le mythe n’a pas besoin d’être expliqué, il EST. Si on en parle c’est souvent sous couvert de rationalité, comme pour les fake news il emprunte des éléments au réel en leur tordant le cou pour leur donner un sens particulier.
À un niveau sociétal, pour Roland Barthes, le sens est donné par la classe dominante (bourgeoisie, ou occidentale ou masculine, etc) à son avantage imposant au monde sa doxa.
Il faut donc discerner le roman historique de l’histoire réelle.
Si Lacan parlait de l’humain en tant qu’être inachevé, Freud envisageait la possibilité pour l’humain de devenir un adulte qui par la raison pourrait devenir responsable en dépassant ses peurs et angoisses.
La raison peut permettre de redonner au mythe (sociétal, familial) son véritable rôle de roman sans en faire une vérité inflexible.
Inachevé et raisonnable à la fois, l’humain peut continuer à succomber à l’attrait de mythes romancés qui le rassurent et créent du lien tout en acceptant de faire des pas de côté pour le réécrire régulièrement en fonction de nouvelles lectures de son histoire, acceptant qu’il ne sera en réalité jamais en sécurité, jamais dans la certitude, mais toujours vivant dans la complexité inconnaissable.
En thérapie familiale c’est ce que l’on tente de faire : permettre à la famille de s’approprier son histoire dans le présent, réécrire son roman familial, finalement un travail sans fin...